Janvier 2024 - Mot du supérieur
Chers fidèles,
Pour la sainte Eglise, une année ne peut se terminer sans entonner un Te Deum, le chant par excellence d’action de grâce par lequel nous remercions solennellement le Bon Dieu pour toutes les dons reçus au cours de l’année écoulée.
Dans notre vision très humaine, nous pourrions faire la distinction entre une année réussie et une autre qui le serait moins, ou même une année catastrophique qu’il faudrait oublier à tout jamais… D’un regard surnaturel, l’Église nous invite à chanter dans tous les cas de tout cœur notre reconnaissance, car « tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu » (Romains VII, 28) !
Si la nécessité de la gratitude en fin d’année paraît évidente, il est intéressant de remarquer que la reconnaissance est en fait une réalité omniprésente dans notre vie de chrétiens. À y regarder de plus près, la prière d’action de grâce est un point sur lequel l’Église insiste beaucoup. Dans notre prière du matin, nous disons merci pour cette nouvelle journée ; nous restons à l’église après la messe pour faire notre action de grâce ; nous disons les « grâces » après le repas, et nous terminons notre journée encore par des actes de remerciements pour la journée écoulée.
La reconnaissance est en fait ce que l’on distingue comme l’une des quatre fins de la prière : adorer, remercier, demander des grâces, et demander pardon. Si certaines fins semblent plus logiques et évidentes que d’autres, remercier est probablement celle que l’on oublie le plus souvent, et c’est bien dommage !
Le regretté Père Paul Egli avait été converti à la Tradition par cet exemple de la prière d’action de grâce. Lors de sa première célébration d’une messe tridentine dans un lieu de pèlerinage, voyant que les fidèles restaient à l’église pour leur action de grâce, il avait été profondément bouleversé, car il avait l’habitude que l’église soit vide au sortir de la sacristie. Lui qui n’avait jamais fait d’action de grâce a été poussé à faire de même, à se mettre à genoux pour remercier le Bon Dieu. Et c’est à ce moment qu’une voix intérieure lui a fait comprendre de ne plus jamais célébrer dans un autre rite que le rite tridentin.
Mais revenons quelques instants à ce qui caractérise notre sujet et cette question fondamentale : qu’est-ce que la reconnaissance ? On pourrait répondre très simplement : c’est la réponse à un bienfait reçu. C’est une bonne habitude qui doit s’acquérir peu à peu pour devenir une vertu. Les païens même, à l’instar de Cicéron trouvaient cette vertu importante. Il affirme que la gratitude est la plus grande et la mère de toutes les autres vertus.
Saint Thomas, qui a l’art de distinguer et de préciser, donne le nom précis de reconnaissance uniquement pour les bienfaits particuliers et privés. Mais laissons le docteur angélique, dans sa somme théologique (IIa IIae, question 106) nous l’expliquer : « C'est en Dieu, à titre premier et principal, que se trouve la cause de notre dette, du fait qu'il est le principe premier de tous nos biens. Deuxièmement, chez nos parents qui sont le principe premier de notre génération et de notre éducation. Troisièmement, dans une personne constituée en dignité, de qui procèdent les bienfaits communs. Quatrièmement, chez un bienfaiteur de qui nous avons reçu des bienfaits particuliers et privés, pour lesquels nous avons envers lui une obligation particulière. Donc, après la religion (culte dû à Dieu), la piété (à nos parents) et le respect (aux personnes constituées en dignité), c'est la reconnaissance ou gratitude qui répond à la générosité des bienfaiteurs. »
Ces distinctions du docteur angélique sont importantes. Elles nous font saisir combien nous avons encore de progrès à faire. En effet les bienfaits pour lesquels nous sommes d’ordinaires le plus facilement reconnaissants sont ceux qui nous viennent d’un bienfaiteur particulier : un cadeau à Noël, par exemple. Mais il s’agit là du degré le plus faible de notre obligation à la reconnaissance… En revanche, envers la divine Providence, envers Dieu, notre bienfaiteur universel dans l’ordre de la nature et de la grâce, combien nous sommes oublieux ! Et pourtant plus le bienfaiteur est grand, plus la reconnaissance devrait être nécessaire et même obligatoire. La préface de la messe nous y invite avec empressement : « Il est vraiment juste et nécessaire, de vous rendre toujours et partout des actions de grâce… »
De ce constat vient la parole importante de l’apôtre saint Paul, parole que l’on retrouve dans nombre de ses épîtres : « Rendez continuellement grâce pour toutes choses à Dieu le Père, au nom de notre Seigneur Jésus-Christ » !
Heureusement, Dieu connaît la difficulté que nous avons à lui dire merci ! Cela apparaît souvent dans la sainte Écriture. On peut penser par exemple à ce passage de l’Évangile où il est question de la guérison des dix lépreux. Sur les dix, un seul est revenu pour remercier le Seigneur ! Mais combien cette reconnaissance a payé, puisque ce dernier a reçu plus encore que la guérison naturelle : le salut de son âme. Combien il est important de le remarquer ! Pour notre bien maigre reconnaissance, Dieu nous gratifie encore davantage de ses dons.
Que faire alors pour acquérir cette vertu ? La recette est simple : il suffit de répéter les actes, comme on l’apprend aux enfants. Un bon éducateur, à chaque occasion, redira à un petit de dire merci pour un cadeau reçu. Il lui apprend à manifester sans attendre sa gratitude envers son bienfaiteur, par un mot ou un geste, avant même de profiter de son cadeau. Voilà ce que nous devrions faire dans notre vie spirituelle : constater la grandeur du don, nous en réjouir, certes, mais d’abord et avant tout tourner notre regard vers Dieu, notre divin bienfaiteur.
« C’est vers vous que j’ai élevé mon âme » chantait la liturgie au début de l’Avent. Elle nous indiquait la voie, car il est nous est si difficile de le faire spontanément. Nous vivons dans un monde qui ne pense qu’à la consommation. La publicité est omniprésente pour faire vibrer notre désir de posséder, pour exacerber nos envies, nos passions, et finalement nous laisser dans le mécontentement et l’insatisfaction. C’est exactement l’inverse de la gratitude qui se contente et se réjouit du peu qui a été reçu !
On fait souvent du reste la remarque suivante : moins les gens possèdent, plus ils sont généreux et reconnaissants. Les témoignages des pays pauvres sont éloquents : quelle joie et quelle reconnaissance, et pourtant quelle misère et quel dénuement !
Dans son épître aux Philippiens (IV), saint Paul a cette magnifique pensée : « Je puis tout en celui qui me fortifie ». Mais ce passage est souvent cité sans référence à celui qui le précède : « J’ai appris à être content de l'état où je me trouve. Je sais vivre dans l'humiliation, et je sais vivre dans l'abondance. En tout et partout j'ai appris à être rassasié et à avoir faim, à être dans l'abondance et à être dans la disette ». Voilà en définitive la vraie reconnaissance et la vraie gratitude : être heureux de ce que nous avons, être heureux de ce que le Bon Dieu nous donne, au gré de sa Providence !
Même si les temps sont durs et que nous débutons 2024 avec des craintes légitimes, il faut bien avouer qu’en comparaison de tant et tant de régions de par le monde, nous sommes bien gâtés par le Bon Dieu ! Notre pays nous donne vraiment de quoi vivre avec aisance et la situation de la Fraternité en Suisse nous permet de bénéficier assez facilement du secours des sacrements.
Evidemment que vivre en chrétien aujourd’hui relève de l’héroïsme et que l’on voudrait toujours davantage de grâces. Mais notons ceci : il est assez fréquent que nous recevions des demandes de prière, de messes pour obtenir telle ou telle grâce, telle guérison, mais il est moins fréquent que nous soyons sollicités pour des prières en action de grâce pour une guérison ou des bienfaits reçus. N’oublions pas le lépreux de l’Évangile ! La meilleure manière de recevoir davantage de Dieu, c’est lui rendre constamment des actions de grâces pour ses bienfaits. Voilà le chemin du ciel !
Remercions donc Dieu pour l’année qui s’achève, et ce sera la meilleure manière de débuter la nouvelle année !
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