Mai 2023 - Mot du Supérieur

Source: District de Suisse

« Le Seigneur est mon berger : je ne manque de rien » : magnifique passage, bien connu, tiré du livre des psaumes ! Ce verset ne nous encourage pas à l’insouciance d’enfants gâtés – on pourrait être tenté de l’interpréter ainsi – mais au contraire, il signifie toute la confiance qu’il nous faut avoir en Dieu.

L’essentiel de l’enseignement de ce verset ne consiste pas seulement en la libération de toute inquiétude vaine, il nous indique le motif profond de la paix intérieure qui doit être la nôtre : sans Dieu, notre cœur est inquiet et ne peut vivre, mais avec la grâce de Dieu, nous ne manquons de rien, car nous avons l’essentiel.

Au cours du mois de mai, la très sainte Vierge Marie nous manifeste de manière admirable cette dépendance à Dieu. Notre bonne mère du ciel sait mieux que quiconque ce dont nous avons besoin et nous savons avec quelle confiance inébranlable nous pouvons compter sur son soutien. De l’annonce de l’ange Gabriel à la mort de Jésus et à sa résurrection, elle a connu les joies et les souffrances les plus inouïes, l’abondance des dons et la déréliction, mais toujours dans l’abandon du fiat : tout ce que vous voulez, ô mon Dieu, je le veux.

Cependant il faut avouer que cette confiance en Dieu et cet abandon à la Providence ne sont vraiment pas faciles à atteindre dans un monde matérialiste et individualiste comme le nôtre. Il est même bien difficile, pour ne pas dire héroïque, d’y parvenir. Je voudrais donc vous proposer quelques réflexions pour vous donner matière à méditer et à agir, car c’est là un sujet bien important.

La première réflexion, qui est une évidence, c’est que tout nous vient de Dieu. On peut certes avoir bénéficié d’un héritage, avoir mis à profit des talents et travaillé d’arrache-pied pour acquérir richesse et succès. Mais tout cela nous est accordé de manière ultime par Dieu. On remonte toujours à lui. C’est lui l’origine de tout, comme il doit être aussi la fin de toute chose.

Voilà pourquoi nous ne devons avoir de souci ni pour le présent ni pour l’avenir. C’est ce qu’illustre si bien le célèbre passage de saint Matthieu : « Ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que vous mangerez, ni pour votre corps, de quoi vous serez vêtus. La vie n'est-elle pas plus que la nourriture, et le corps plus que le vêtement ? Regardez les oiseaux du ciel : ils ne sèment ni ne moissonnent, et ils n'amassent rien dans des greniers ; et votre Père céleste les nourrit. Ne valez-vous pas beaucoup plus qu’eux ? » (ch. 6)

Cette profonde réflexion du Christ a pu être parlante pour ses contemporains et par la suite pour une foule immense de chrétiens et de lecteurs de l’Evangile qui ont connu la pauvreté... Mais pour être francs, dans nos sociétés d’abondance, c’est plutôt le contraire qui doit nous inquiéter. Nous sommes gavés de biens et ne manquons de rien. Qui de nous a connu la guerre ou ne serait-ce que des privations réelles ? Nous possédons tellement de choses, il nous est presque impossible de manquer du nécessaire. Nous connaissons un Etat-providence, mais nous avons perdu la notion du Dieu-Providence, de sa dépendance. Nous sommes devenus comme ces enfants gâtés pour qui tout est dû et qui peinent à comprendre la générosité et le dévouement de leurs parents.

Il nous faut être conscients de ce danger : s’il est légitime de nous réjouir de l’abondance et du bien-être, il faut bien saisir que cette abondance même peut nous faire perdre le sens des priorités, nous éloigner de la nécessaire confiance qu’il faut avoir en Dieu et de la gratitude qu’il faut lui témoigner.

D’où la seconde réflexion qui doit nous aider à mettre Dieu à sa juste place : la première ! Jésus disait à Marthe : « Tu t’inquiètes et tu t’agites pour beaucoup de choses, une seule chose est nécessaire. » Combien davantage il pourrait nous faire cette réflexion : notre vie est remplie de détails et de gadgets. Considérons le temps que nous perdons à des futilités comme le monde virtuel des smartphones et des films, et remettons l’essentiel à la première place !

Comme catholiques attachés à la Tradition, nous devons nous rendre compte que, malgré la crise terrible qui secoue l’Eglise, nous sommes bien choyés par le bon Dieu. Nous avons une chapelle à proximité, des prêtres, une bonne école, de nombreuses familles catholiques pour nous soutenir. Ne considérons pas que ces dons de Dieu soient un droit, ne devenons pas des blasés de Dieu. Ce sont des grâces extraordinaires que le Bon Dieu nous donne ! Quel gâchis il peut y avoir, même dans nos milieux, de voir que nous nous perdons dans des considérations futiles, que nous faisons de petits riens des montagnes, que nous sommes prêts à nous lancer dans des croisades pour des sujets si secondaires. Et nous nous laissons détourner de l’essentiel !

Alors comment revenir à cet essentiel ? Prenez une brave personne dont la santé va à merveille. Vient-elle à tomber sérieusement malade qu’elle se rend compte de ce qui lui manque désormais : la santé ! C’est souvent la privation qui nous rappelle l’essentiel. Il nous faut donc réapprendre à nous priver, volontairement, de bon cœur, pour redécouvrir l’Essentiel. Il nous réapprendre à nous détacher, à remettre les choses à leur place, à devenir indifférents au fait de posséder ou non. A être détachés de cœur ! Comment apprécier le bien et le vrai, si l’on n’a plus la possibilité de les estimer à leur vraie valeur. Voyez le saint homme Job : « Le Seigneur m’a tout donné, le Seigneur m’a tout repris, que son saint nom soit béni ! » Il était capable en toute vérité de louer Dieu dans l’abondance comme dans le dénuement.

L’attache dont nous parlons n’est pas en dépendance de la quantité de richesse que nous possédons. On peut en effet avoir fait le vœu de pauvreté et se perdre dans les dédales de l’avarice, comme on peut aussi posséder beaucoup et être d’une grande générosité et d’une grande charité. Il faut simplement que nous ne devenions pas l’homme riche de l’Evangile, imbu de lui-même et de ses richesses. C’est un nouveau Lazare qu’il nous faut être, mis de côté et moqué peut-être, mais qui a gagné l’essentiel, le ciel !

En définitive, cette manière d’être et de penser peut se résumer en un mot : l’esprit de sacrifice. Il est de plus en plus une nécessité et une obligation pour tous les états de vie. Cet esprit de sacrifice est nécessaire pour l’éclosion de solides vocations, car l’appel de Dieu demande de tout quitter, de mettre la volonté de Dieu avant nos petites volontés. Et si cela vaut pour les vocations, c’est tout aussi important pour la vie de mariage qui donne tant de joies, mais réclame aussi tant de sacrifices !

« Vous nous avez faits pour vous Seigneur et notre cœur est sans repos tant qu’il ne repose pas en vous », que ces paroles de saint Augustin soient la ligne directrice de notre existence, tout le reste n’est que peu de choses ! Si « le Seigneur est mon berger : je ne manque de rien » !

Contact

  • Supérieur de district

  • Abbé Thibaud Favre

    Prieuré Saint Nicolas de Flüe

    Solothurnerstrasse 11
    4613 Rickenbach