Juin 2024 - Mot du supérieur

Source: District de Suisse

Il est assez commun d’entendre dans nos milieux que si la crise traverse notre monde plus que jamais, nous restons relativement bien préservés, car nos convictions nous mettent un peu à l’écart de la société. Ce désagrément a au moins pour conséquence bienfaisante de nous protéger en partie de l’esprit du monde !

Si ce discours a quelque chose de vrai et pourrait s’avérer rassurant, il n’est malheureusement pas tout à fait conforme à la réalité. A y réfléchir un peu, il serait même très étonnant que nous restions insensibles à cet esprit du monde. Il est bien connu que, plus un combat se prolonge, plus le risque de découragement et de compromission est présent. Ce n’est certes pas du jour au lendemain que l’on change de camp, mais forcément le temps qui passe amène son inévitable lot d’épreuves et de déceptions qui provoquent des interrogations, qui elles-mêmes peuvent ébranler nos convictions. L’esprit du monde est si contagieux !

C’est ici que nous devons nous arrêter sur un mal très pernicieux qui définit bien notre époque : l’individualisme ! Ce mal ronge et détruit nos sociétés, sape peu à peu l’idéal du bien commun. Je voudrais donc vous proposer quelques réflexions à ce sujet, car si nous avons la joie de côtoyer de belles âmes, très généreuses et dévouées, pétries du sens du bien commun, il faut avouer que le danger de l’individualisme ne nous épargne pas. En faisant ce constat, je ne veux bien sûr ni décourager ni stigmatiser. Ces quelques lignes dénotent plutôt une préoccupation devant un péril qui nous guette et peut-être même nous habite.

Qu’est-ce que l’individualisme ? L’individualisme n’est en fait pas très difficile à comprendre, puisqu’il s’agit tout simplement pour chaque individu d’être son propre point de référence. Pour résumer, on peut dire que c’est le défaut de tout ramener à soi et de ne vivre que pour soi. Aujourd’hui, on le voit régner sans partage, et bienheureux celui n’est pas attiré par ce désir de totale liberté. Je fais ce que je veux, quand je veux. Je m’engage si je le désire et quand il me plaît. Je décide de tout, je juge de tout et personne n’a à m’imposer d’exigences en retour. 

Cette maladie de notre temps a bien évidemment atteint l’Eglise et il intéressant de lire un document de la Congrégation pour la vie religieuse datant de 1994 : « La contestation de l'autorité n'a pas épargné l'Eglise et la vie religieuse, avec des conséquences évidentes sur la vie commune. L'accent mis de façon unilatérale et excessive sur la liberté a contribué à répandre en Occident la culture de l'individualisme, affaiblissant l'idéal de la vie commune ». C’est malheureusement tout à fait vrai !

Mais pour bien comprendre comment il peut s’immiscer chez nous, permettez-moi d’utiliser cette formule un peu étonnante : l’individualisme est le modernisme du traditionaliste. Le modernisme a pénétré un milieu dans lequel la pratique religieuse était la règle et les valeurs morales indiscutables. Il ne s’est pas contenté d’une révolution des esprits, dans un premier temps presqu’insensible, mais en transformant l’intérieur, il a gangréné le catholicisme. Tout le reste a suivi et nous en sommes arrivés à la situation actuelle où les vérités de foi et de morale sont mises en cause.

Dans son encyclique Pascendi, saint Pie X disait que la foi du moderniste vient de son « expérience individuelle ». Le modernisme a exalté le primat de la conscience individuelle. Le Moi règne. C’est l’indépendance tous azimuts. Si le pape rappelle un point de morale, le chrétien lambda répond : « Oui, mais moi je pense que… ». Si l’on rappelle un point de discipline : « Je ne me sens pas concerné… ». Si des parents demandent un service à leur enfant : « Pourquoi moi ? » Cet individualisme menace notre vie chrétienne d’aujourd’hui, même si nous sommes convaincus de l’importance du combat de la foi.

Une fois réalisée cette mise en perspective de l’individualisme, il est intéressant de nous arrêter sur le danger pernicieux qu’il représente pour nos milieux. Nous sommes habitués à lutter contre tout ce qui s’attaque à la foi et à la morale et nous prenons, parfois de façon héroïque, les moyens pour nous en préserver. Mais l’influence du monde étant ce qu’elle est, il est difficile de vivre un idéal de vie chrétienne dans un siècle où l’individu est roi. Il suffit de regarder les habitudes engendrées par ce petit outil qu’est le smartphone pour y voir un bel exemple de l’individualisme : chacun sur son appareil, à la maison, au travail, dehors. Il fait perdre toute notion de dépendance, d’obéissance, et même de bienséance, dès le plus jeune âge.

Nombreux sont les exemples concrets où l’on voit cet esprit du monde à l’œuvre. L’individualisme ne s’attaque donc pas directement à la foi ou aux mœurs, mais il engendre un mode de vivre. Les évidences de la vie chrétienne seront remises en cause dans notre façon de vivre, et cela de façon presque insensible !  Il ne faut donc en aucun cas négliger les conséquences de l’individualisme en nous. Il nous faut une salutaire réaction. Car, comme pour toute maladie, il importe de trouver le remède pour mieux s’en protéger.

Ainsi, lutter contre l’individualisme, ce poison qui referme sur soi, ce sera tout simplement s’ouvrir avec générosité. Tout d’abord avec Dieu, par la générosité dans la prière. Nous sommes tous d’accord sur la nécessité de la prière, mais qui prend concrètement le temps pour s’y adonner ? Qui prend le temps pour la seule chose qui compte et qui nous remet dans la vraie perspective de notre dépendance totale vis-à-vis du Bon Dieu ?

Il y a également la générosité pour donner de soi au profit du prochain, pour les œuvres paroissiales, pour nos écoles. En fait, il faut revenir à la notion de bien commun. Elle est difficile à définir, mais finalement elle consiste à quitter sa zone de confort par exemple au profit de la famille : un enfant qui laisse de côté son jeu parce que maman l’appelle, ou en faveur d’une œuvre paroissiale qui demande des bénévoles : on consacre une après-midi à ce bénévolat. Ce sont des moyens simples pour faire grandir en nous le sens du bien commun, même si notre bien particulier doit en pâtir ! Et il faut avouer que l’on remarque fréquemment que les personnes les plus disponibles sont souvent celles qui sont déjà surchargées d’activités, alors que celles qui auraient du temps à disposition soit ne pensent pas à le donner ou sont prisonnières d’une forme d’individualisme. 

N’ayons pas peur de la générosité dans l’accomplissement au quotidien ce que Dieu attend de nous. Non pas une générosité qui attend désespérément un signe ostensible, mais une générosité prête à donner sans compter pour Dieu et pour le salut des âmes.

Qu’en ce mois de juin nous soyons remplis de cet amour généreux et débordant du cœur de Notre-Seigneur, afin de mener la lutter contre l’adversaire sournois de l’individualisme et de nous maintenir fermes et passionnés dans le bon combat de la foi !

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