Mot du Supérieur de District

Source: District de Suisse

Lettre circulaire aux fidèles de Suisse (Avril-Mai 2016)

Extrait du Rocher No 100

Bien chers fidèles,

Nous sommes tous logés à la même enseigne, nous suivons les étonnantes actualités et nous ne comprenons pas l’aveuglement et le laxisme de nos autorités : on clame à tous vents qu’il faut être ouvert et ne pas craindre l’autre, même et surtout s’il vient chargé d’un lourd héritage comme l’islamisme. Cela ne devrait pas trop nous déranger, puisque le christianisme est une religion d’amour. « Bénissez ceux qui vous maudissent »[1] ; « Père, pardonne-leur parce qu’ils ne savent pas ce qu’ils font »[2], et Jésus insiste à souhait : « Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent »[3]. Il ne nous reste qu’à faire le gros dos et à accepter les épreuves comme des bénédictions.

L’Église de Vatican II s’est tellement imprégnée de ces paroles qu’elle a jugé nécessaire de rayer de la liturgie les psaumes imprécatoires, comme ce sublime verset du psaume 139 : « Comment ne pas haïr tes ennemis, Seigneur ? Je les hais d’une haine parfaite, je les tiens pour mes propres ennemis », ou peut-être encore plus significatif celui du psaume 68 : « Je les ramène de Basan, afin que tu enfonces ton pied dans leur sang, que la langue de tes chiens ait sa pâture d’ennemis. »

Sommes-nous à l’aise avec de tels textes, ou alors passons-nous outre sans les voir, en nous voilant pudiquement la face ? En tous les cas le pape Paul VI ordonna d’expurger les psaumes imprécatoires du bréviaire. Dans le mot accompagnant les nouveaux livres liturgiques, il en donne l’explication : « Ces omissions ont pour but d’éviter une difficulté psychologique »[4]. Et ailleurs : « Dans cette nouvelle distribution des psaumes ont été omis certains psaumes et versets dont l’expression est plutôt dure, en tenant compte en particulier des difficultés qui pourraient naître de leur célébration dans une langue moderne »[5]. Alors que les chrétiens étaient devenus adultes, on ne pensait pas moins les couver dans certains cas ! Ô logique moderne, quand tu nous tiens !

Avec de tels principes, on n’imagine pas combien de coupes sont psychologiquement nécessaires dans le texte sacré. Mais allez accorder cela avec la parole de saint Paul à Timothée : « Toute Ecriture est inspirée par Dieu »[6]. Car à ce rythme le Nouveau Testament devrait également passer à la coupe, les invectives du Seigneur contre certaines villes de son pays, ou contre les pharisiens, sont d’une dureté insoutenable pour nos oreilles pies. Saint Paul, oust ! quand il dit au magicien Elymas : « Homme plein de toute fraude et de toute malice, fils du diable, ennemi de toute justice, ne cesseras-tu pas de pervertir les voies droites du Seigneur ? Et maintenant voici que la main de Dieu est sur toi et tu seras aveugle, sans voir le soleil pour un temps. »[7] Pas très charitable pour un homme qui, comme le précise le texte, est rempli de l’Esprit-Saint.

Il nous faut combattre le mal, mais de quelle manière ? Par les armes de la prière, et les psaumes imprécatoires sont absolument nécessaires. Car, par ceux-ci, les pauvres, les opprimés, les justes persécutés peuvent intervenir par leurs cris de souffrance devant Dieu. Ici-bas, le monde ne les écoute pas, mais celui qui prie porte un jugement sur le mal, le discerne et le condamne et surtout… il demande à Dieu d’intervenir. Et c’est là que ces psaumes sont extrêmement exigeants, parce qu’ils fondent le principe selon lequel, même face à l’injustice et au mal subis, le croyant s’interdit de se rendre justice à lui-même et ne cède pas à la tentation de répondre au mal par le mal, à la violence par la violence, mais laisse faire la justice divine. Saint Paul qui ne mâche pas ses mots envers ses ennemis, enseigne pourtant : « Bénissez ceux qui vous persécutent : bénissez et ne maudissez pas. Ne rendez à personne le mal pour le mal ; veillez à faire ce qui est bien devant tous les hommes. S’il est possible, autant qu’il dépend de vous, soyez en paix avec tous. Ne vous vengez point vous-mêmes, bien-aimés ; mais laissez agir la colère de Dieu ; car il est écrit : "A moi la vengeance ; c’est moi qui rétribuerai, dit le Seigneur" »[8].

Il est étonnant qu’au moment où les autorités de l’Église suppriment ce genre de prières, naît ce mouvement appelé théologie de la libération, qui enseigne que la révolution est conforme à l’Evangile[9]. Chez nous, la violence est suspendue, car les ventres sont bien remplis, mais il faudrait peu pour la voir dans toute sa laideur et son paroxysme.

Il est donc important de prier avec ces psaumes et d’y puiser cette patience qui laisse à Dieu le gouvernail de la justice : « Aux uns, les chars ; aux autres les chevaux ; à nous, le nom de notre Dieu : le Seigneur. Eux ils plient et s’effondrent ; nous, debout, nous résistons »[10]. Si nous ne le lui disons pas, cette violence qui gît dans tous les fils d’Adam, ressortira d’une manière ou d’une autre. Nos temps sont favorables à de telles prières, sinon les tentations des Juifs au temps du Christ d’espérer un sauveur de la nation qui viendrait les délivrer, retomberont sur nous et notre déception sera la même : alors ils se détournèrent de lui ! Que notre espérance vienne du Ciel et du Ciel seul, dans ce Sauveur qui a donné sa vie pour nous sauver, dans ces humbles mais ô combien puissants moyens de la prière. Cela demande une grande force intérieure, qui doit être acquise de longue lutte et soutenue par la grâce. Que Dieu nous prenne en pitié et qu’il « rende à nos voisins, sept fois, en plein cœur, l’outrage qu’ils t’ont fait, Seigneur Dieu »[11].

Abbé Henry Wuilloud

Encart

Avec La violence et Dieu, Enzo Bianchi signe un livre très stimulant qui vise à réhabiliter les Psaumes imprécatoires, où le psalmiste demande le châtiment de ses ennemis. Sont-ils conciliables avec l’Esprit de Jésus, avec le Nouveau Testament ? Beaucoup de chrétiens sont gênés de les lire et encore plus de les prier. C’est ainsi que dans la réforme liturgique entreprise dans la foulée de Vatican II, certains passages imprécatoires des Psaumes ont été supprimés des offices, sur décision expresse du Pape Paul VI.

Enzo Bianchi s’insurge contre cette manière de voir : renoncer aux Psaumes imprécatoires, c’est renoncer à tout dire devant Dieu, c’est s’autocensurer devant lui, c’est se croire meilleur que Dieu qui a inspiré ces pages. Ces Psaumes sont les cris de gens qui souffrent : les mettre de côté, c’est donc dénier la souffrance des victimes et se mettre du côté de leurs bourreaux. C’est, en fait, nier la réalité du mal et du péché. Le refus de ces Psaumes va souvent de pair avec une minimisation du mal et du péché. Le Nouveau Testament va dans le sens de ces Psaumes avec les malédictions de Jésus contre Chorazin et Bethsaïda (Mt 11,21) ; voir aussi 1 Co 5, Phil 3,2, etc. (…) Un livre viril, loin de « l’ecclésiastiquement correct » mièvre qu’on rencontre trop souvent aujourd’hui. Un livre qui m’a fait du bien.

Alain Décoppet (revue Hokhma n° 108 – octobre 2015)

 

[1] Luc 6, 28.

[2] Luc 23, 34.

[3] Matt 5, 44.

[4] Présentation générale de la Liturgie des heures, n° 131.

[5] N° 4 de la Constitution apostolique Laudis canticum du 1er novembre 1970.

[6] 2 Tim 3, 16.

[7] Actes des Apôtres 13, 10.

[8] Rom. 12, 16 et s.

[9] Puisqu’on reparle de Don Helder Camara, citons-le : « L’Evangile a toujours été, visiblement ou invisiblement, par l’Église ou hors l’Église, le plus puissant ferment des mutations profondes de l’humanité depuis vingt siècles » (dans Témoignage chrétien le 31.8.1967).

[10] Ps. 20, 8.

[11] Ps. 79,12.