Journal de route du District de Suisse
Extrait du Rocher No 100
1er au 8 janvier 2016
Ce n’est pas idéal de débuter l’année sur un sujet un peu léger et aussi privé, mais voilà, avec un confrère nous avons visité, une semaine durant, la Catalogne. Et comme nous avons été séduits, nous ne pouvons pas nous empêcher de vous relater quelques traits saillants, en omettant les steaks saignants ! A Barcelone, l’attraction, pour la majorité des touristes, c’est la Sagrada Familia de l’architecte Gaudi, et la foule envahit cette église, friande de "selfies" qui diront que « j’y étais et j’ai vu ! » De fait, c’est pour le moins étonnant. On est loin des lignes droites ou des courbes parfaites de nos temples romans ou gothiques. Ici c’est la nature qui est au principe de l’œuvre architecturale, et c’est intéressant, bien qu’à mon goût, un peu luxuriant, comme un arbre trop chargé de fruits. Mais le tout ne manque pas de dignité, au contraire.
Il est par ailleurs intéressant qu’un procès en vue d’une béatification de Gaudi (1859-1926) a été ouvert. Jean-Paul II trouvait qu’il manquait des saints issus du monde laïc, et de fait le dernier artiste vénéré est Fra Angelico (artiste mais religieux). C’est d’ailleurs au gré de ses réalisations que Gaudi s’est converti et qu’il put affirmer que « l’homme sans religion est un handicapé spirituel, un homme mutilé ». Cependant dans l’église, on remarque aisément le choc entre l’art traditionnel et l’horrible art moderne… Il suffit d’entrer et de sortir : le portail d’entrée est majestueux avec de splendides statues, tandis que la sortie est laide à souhait.
De Barcelone à Montserrat il y a 30 kilomètres, et là nous découvrons une petite merveille blottie dans une petite chaîne montagneuse : un couvent vénérant une antique statue de la Vierge Marie, avec une belle floraison d’histoires merveilleuses. On est à deux pas de Manrèse… et tous les retraitants savent que c’est là que saint Ignace reçut les lumières célestes pour écrire les Exercices spirituels. Sa grotte est bien ornée, mais de jésuites nenni ! Manrèse manifeste une certaine désolation, car la cité est remplie d’habitants suivant la doctrine de Mahomet. Ce lieu où le renouveau du catholicisme s’est révélé par une abondance incroyable, redevient un désert. Et la faute revient, non à ces malheureux professant la pauvre doctrine d’un pseudo-prophète, mais à la déliquescence de l’ordre des Jésuites.
Encore un mot sur Tarragona : la ciudad de la eterna primavera, comme l’écrivait déjà le poète latin Lucius Florus, est une splendide ville sise en bordure de mer sur une petite élévation ; très chargée historiquement, car elle était la capitale romaine au temps des Ibères. C’est d’ailleurs là qu’est né un homme assez célèbre pour nous chrétiens. Dans le majestueux prétoire est né celui qui va condamner le plus innocent des hommes, mais cette fois dans un autre prétoire : vous avez évidemment reconnu Ponce Pilate qui n’a pas su puiser dans ce havre la douceur suffisante pour juger avec adoration l’Agneau divin. Cathédrale splendide avec les reliques de la quasi immortelle sainte Thècle ! Immortelle en tous les cas pour les bourreaux qui ont essayé sur elle, le feu, puis une lionne affamée qui lui lécha les pieds, puis plusieurs bêtes sauvages, mais rien n’y fit. Cette disciple de saint Paul serait morte à Maaloula où est vénéré son tombeau qui a malheureusement été terriblement dévasté par la guerre qui sévit en Syrie.
N’est-ce pas passionnant, ces rencontres entre le passé lointain et la brûlante actualité à travers notre chère civilisation chrétienne ?
10 janvier 2016
J’ai de nouveau la joie de fêter la Sainte Famille parmi les paroissiens de Wil. Ce sont des actes hautement symboliques à notre époque qui n’aime pas la famille, surtout celle bénie par Dieu au pied de l’autel par le mariage catholique. Nous sommes aussi un mouvement de réaction contre la folie de notre monde et ceux qui ont démoli tout ce qu’ils peuvent dans l’Église. Aussi nous voulons mettre avec Dieu, la famille au centre de tous nos intérêts. L’Église l’a fait depuis ses débuts en inventant les paroisses – qui ne sont rien d’autre que la réunion des familles d’une cité. La Tradition catholique, après avoir fait les séminaires, a fait des quasi-paroisses, pour venir au secours des familles désemparées par la crise. Puis elle s’est mise aux écoles. Le lien est donc bien tangible entre nous tous, les prêtres et les fidèles.
18 janvier 2016
La traditionnelle réunion de tous les prêtres à Oensingen reçoit le directeur du séminaire d’Ecône, l’abbé Benoît de Jorna. Il nous fait part de ses jugements – éclairés par saint Thomas – sur les vocations actuelles. Un point crucial, qui provient de notre drôle de société, est la perte d’espérance. Espérer pour un chrétien revient à tendre vers le Ciel des élus. Or ce but est un grand bien pouvant être atteint… sauf qu’il n’est pas pour aujourd’hui mais pour un temps futur qui peut être assez éloigné, et comme il est difficile à atteindre cela demande un immense courage.
Or le monde, lui, donne des biens ‒ moins géniaux mais des biens quand même ! ‒ et surtout il n’attend pas pour le faire, car le pain et le cirque, c’est tout de suite et maintenant ! Ici c’est cool and easy, là il faut pagayer une vie entière ! Tous nos pores reçoivent leurs doses de plaisir et c’est plutôt difficile de s’y opposer. Les paroles de vie de Notre-Seigneur deviennent comme vides… Une vocation est un vrai miracle. Mais ici aussi l’union dans cette grande famille de la Tradition peut faciliter son éclosion.
24 janvier 2016
Le temps passe, l’éternité approche ! Aujourd’hui c’est l’annonce officielle du passage de témoin au 15 août prochain entre le supérieur de district actuel et son successeur l’abbé Pascal Schreiber. Mais ce n’est pas encore l’heure pour les adieux, il me faut encore remplir quelques mois de feuilles de route.
2 février 2016
On se sentait bien comme Suisse à Flavigny pour les prises d’habits des nouveaux séminaristes, car bien qu’on soit un petit pays, on n’est pas en reste pour les vocations : 4 jeunes sur les 16 à prendre la soutane. Voilà… c’était juste un petit cocorico au pays des coqs ! Car nous avons eu aussi nos vaches maigres, et c’est avec une réelle fierté que nous avons vu s’avancer ces séminaristes devant l’abbé Niklaus Pfluger pour bénir leur soutane puis revenir avec cette belle soutane sur le dos. Ils ont de l’allure, nos petits. Les mouvements de jeunes devraient vraiment mettre de telles cérémonies au programme de leurs sorties, car elles permettent à certaines écailles de tomber des yeux et de mieux discerner ce que le Bon Dieu attend d’eux… et il arrive que ce soit la vocation.
13 février 2016
Passage rapide dans la capitale de la Bavière, pour échanger les idées et avis avec les abbés Frey et Udressy en vue des prochaines mutations. Mais c’est sous la houlette de l’abbé Niklaus Pfluger que se passent ces entretiens, car il a la lourde et ingrate charge de mettre en forme toutes les propositions et demandes qui proviennent du monde entier. Or on est tous gourmands et on cherche le meilleur pour notre propre district… et c’est de bonne guerre ; mais voilà, au-dessus de toutes les attentes, il faut le chef qui tranche en faveur d’un bien qui appartient à tous.
Dans ce genre de réunion, il y a déjà eu de belles empoignades, et j’y ai participé gaiement. Mais ce jour-là, cela c’est fait de manière bien familiale. Oui, on se fait vieux !
17 au 21 février 2016
A Littau, des travaux ont repris dans les sous-sols, et la poussière s’insinue partout. Le garage qui n’a jamais pu être utilisé pour les véhicules à cause d’une erreur technique, est transformé afin d’être mieux agencé. C’est un grand volume à isoler et où le chauffage pourra être installé. C’est bien d’avoir de jeunes abbés, ils sont remplis d’idées et même d’énergie pour les réaliser, alors il faut en profiter sans en abuser !
Ces quelques jours de visite canonique m’ont permis de constater que la manière de remplir l’église avait changé, dans ce sens que les fidèles restent moins englués au fond de la nef. Ils osent s’approcher du Bon Dieu… c’est magnifique. C’est une sorte de thermomètre pour curés ! Au fond de l’église, cela signifie que les gens y viennent par obligation, on se dépêche et on repart aussi sec. Dès qu’on avance, on cherche un autre contact avec l’Invisible, on y montre qu’on est bien avec le Seigneur, on cherche même à le faire connaître aux siens. Le prêtre a pour rôle d’ouvrir les âmes à ce contact intime, et il doit avancer dans ce chemin en totale communion avec la grâce, sous peine de se faire illusion.
27 février 2016
L’abbé Waldemar Schulz est l’invité des conférences pour la formation des enseignants à Wil ; bien connu des prêtres puisqu’il enseigne à Zaitzkofen depuis des décennies, il possède une expérience et une sagesse qu’il vaut la peine de partager. Le thème de cette année consistait à préciser les droits de l’Église, de l’État et des parents en matière d’éducation. L’État devenant toujours plus paternaliste, tout ce qu’il exige n’est pas forcément mauvais, au contraire, mais cela donne comme une habitude, et puis un droit coutumier s’installe. L’Église et les parents chrétiens perdent ainsi leur place prépondérante. Or l’État doit être auxiliaire de la famille, et venir ainsi au secours des sociétés imparfaites qui ne peuvent pas tout accomplir. A partir de là, l’État, la famille et l’Église, tous doivent tenter de s’harmoniser entre eux. Le terme "harmonie" est important, il montre qu’il ne doit pas y avoir recherche de supplanter un autre, mais d’accorder les violons ; et ce comme la théologie et la philosophie doivent s’harmonier, comme la foi s’harmonise avec la raison.
Malgré tous les abus étatiques, nous devons voir dans l’État comme « le couronnement social d’un homme ». L’Église et la famille chrétienne ne peuvent pas être révolutionnaires et vouloir renverser ce socle, mais au contraire lui faire partager leurs propres vertus (qui leur viennent du Christ-Roi) et être la base la plus saine pour réaliser le bien commun.
L’abbé Schulz nous a rappelé combien il était éducateur pour les parents de participer à des actions publiques de défense de la foi ou de la morale. Un père qui prie publiquement à une manifestation pour lutter contre l’avortement devient un exemple. Or l’application concrète des principes reste le meilleur enseignement.
29 février 2016
En Suisse romande, beaucoup connaissent l’avocat qui maîtrise la haute voltige dans la langue française, Me Marc Bonnant. Mais s’il dit très bien les choses, il dit également beaucoup de bêtises. Or presque personne n’aimerait être sous les feux de sa verve et jongler avec lui sur les plus hautes vérités, car tel un contorsionniste, son phrasé lui permet de rebondir comme il le veut et où il le veut. Il me semblait intéressant de faire entendre sa défense du doute que nous pouvons entendre grâce à Youtube et de la proposer aux confrères lors de notre réunion de prêtres à Genève.
L’abbé Sélégny nous a parfaitement décrit les principes du scepticisme, qui permet de douter de tout. Et lorsque le texte de l’avocat est transcrit, cela met à jour pas mal de contradictions. La plus simple consiste à dire qu’il est vrai de douter de tout ; or dire cela est bêtement contradictoire, parce qu’alors on devrait aussi douter de son affirmation. La plus belle parole, si elle n’est pas au service de la vérité, devient affligeante et pauvre, et on aimerait tant qu’un homme si talentueux puisse rencontrer la Vérité.
PHW