Lettre Circulaire aux fidèles de Suisse – Le Rocher 137 – Juin-Juillet 2022

 

Bien chers fidèles,

A l’image de Notre-Seigneur qui a multiplié les paraboles pour nous aider à comprendre les grandes vérités de notre foi, l’histoire de l’art regorge de représentations symboliques les plus diverses qui visent à mettre une idée à la portée de tous pour en permettre la compréhension la plus étendue.

On peut en dire autant des vertus et plus particulièrement de la vertu de prudence sur laquelle je vais m’arrêter quelques instants. La vertu de prudence est symptomatique de certaines réalités complexes et méconnues, mais qui sont pourtant capitales et nécessaires.

Dans de nombreuses et splendides représentations, la prudence est sculptée sous les traits d’une femme tenant d’une main un miroir et de l’autre un serpent. Parfois elle est représentée avec un double visage : un visage jeune qui regarde vers l’avenir et celui d’un vieillard dirigé vers le passé. Ces attributs peuvent nous sembler quelque peu étranges à première vue, pourtant, avec quelques explications, ils nous seront fort utiles dans la compréhension de cette vertu cardinale.

La vertu de prudence a toujours été au centre de la vie chrétienne. Dans les vertus morales, elle tient le rôle du cavalier qui conduit les autres vertus vers l’objectif à atteindre, le bien. C’est elle qui guide tout notre agir moral vers Dieu, et saint Augustin le résume si bien : « La prudence est l’amour qui sépare avec sagacité ce qui lui est utile de ce qui est nuisible. »

Elle a donc une importance toute particulière pour notre temps. En effet, plus l’adversité, plus le mal se répandent, plus l’on doit croître dans la vertu pour l’affronter. Ce qui vaut surtout pour la vertu de prudence, puisque c’est elle qui conduit et dirige notre agir. Alors, arrêtons-nous quelques instants sur ses attributs symboliques et voyons quelles leçons nous pourrions en tirer pour notre vie quotidienne.

Le premier attribut est le serpent. Une première interprétation de la présence de cet animal pourrait nous y faire voir le mal et le démon, comme nous le lisons dans le livre de la Genèse lors du péché originel. Il est vrai que la prudence nous permet de mieux connaître le mal et de l’affronter, de mieux connaître nos penchants mauvais pour les corriger.

Il semble cependant que cette interprétation ne s’applique pas vraiment à notre propos. Jésus nous dit dans l’Evangile qu’il faut être prudents comme des serpents 1. Il ne veut évidemment pas nous inciter au mal, mais nous faire réfléchir à certaines qualités de cet animal qu’Il nous invite à imiter dans notre agir.

Le serpent est circonspect, méfiant et d’une souplesse extrême ! Le serpent est souvent discret, parfois extrêmement lent, mais aussi capable de fulgurance pour attaquer sa proie sans lui accorder aucune chance. Savoir agir avec ces qualités de circonspection pour saisir le moment opportun est la caractéristique de l’homme prudent. Il dispose chaque chose à sa place et en son temps. 

Saint Paul, nous le dit si bien : « Si je cours, ce n’est pas sans fixer le but ; si je fais de la lutte, ce n’est pas en frappant dans le vide. » 2 Il se fixe un but et se donne les moyens de l’atteindre, voilà la prudence supérieure dont nous avons besoin dans un monde où les futilités tendent à nous disperser, où règnent l’indécision et le perpétuel changement d’avis. Notre époque a tant de moyens pour nous faire perdre toute notion de prudence : ne nous laissons pas aller dans ce tourbillon, mais revenons à ce qui est nécessaire et important. Nous avons besoin d’économiser nos forces pour l’essentiel.

 Le deuxième attribut de la prudence que l’on peut admirer dans les allégories, c’est le miroir. Ici, on peut d’entrée éliminer une explication qui nous sauterait à l’esprit : le miroir ne signifie évidemment pas une contemplation de soi avec coquetterie. Il n’est pas ici symbole de vanité, mais bien plutôt de l’examen de conscience qui doit présider à toute action faite avec sagesse. Pour reprendre le prophète Isaïe : « Les cœurs des hommes précipités réfléchiront pour connaître. » 3

Dans certains tableaux, le miroir reflète le ciel, l’infini. C’est le premier objet de notre réflexion avant d’entreprendre une action : quelles en sont les conséquences au regard de mon éternité, quelle est son adéquation à la loi divine ? « En toute chose considère la fin » ! C’est un réflexe qui devrait aller de soi, mais qui se perd si aisément, si nous oublions de toujours ramener à Dieu la moindre de nos actions.

Le miroir reflète aussi notre cœur et notre conscience. C’est le symbole de cet examen de conscience nécessaire et objectif ! Connaître nos faiblesses et nos défauts, comme aussi nos qualités, c’est une nécessité indispensable pour avancer vers le bien. Certes, les principes restent les mêmes pour tous, mais à chacun de mieux se connaître pour savoir comment s’y conformer, en sachant quels sont les dangers à éviter pour ne pas s’écarter du bien.

Le miroir nous donne enfin une idée objective de la réalité et des circonstances. Le miroir dans la vie quotidienne est parfois bien cruel dans l’image qu’il nous renvoie. Nous préférerions souvent changer ou améliorer ce que l’on y voit… C’est le risque d’une vie passée dans l’illusion : considérer la réalité telle qu’on l’imagine et non telle qu’elle est. A une époque on l’on vit si loin du réel, plus que jamais le miroir de la prudence ne doit quitter notre main !

Enfin, la dernière caractéristique de l’allégorie de la prudence, c’est le double visage. Ce double visage n’est pas symbole de duplicité, mais de la capacité de l’homme prudent à tirer les leçons du passé pour se projeter vers l’avenir afin d’atteindre ses buts.

Si l’on peut presque avoir tendance à dire que, plus la prudence est importante à une époque, plus elle est délaissée et méconnue du grand nombre, alors il est grand temps pour nous d’avoir un regard jeune, passionné et empreint de générosité face à l’avenir, mais un regard chargé de la gravité de l’âge et de l’expérience. Voilà un beau programme dans un monde qui veut se couper de toute tradition, blasé qu’il est par une vie de plaisirs sans lendemain.

La prudence nous apporte la sagesse de l’expérience et des conseils, mais elle nous confère une générosité ardente et débordante pour le combat spirituel ! Vivre à notre époque ne doit pas nous rendre tristes et inactifs, bien au contraire ! Certains que la grâce de Dieu ne nous fera jamais défaut, il nous faut poursuivre l’œuvre de chrétienté, atteindre le ciel et y conduire le plus grand nombre d’âmes possible.

Comme le dit si bien saint Thomas, la prudence c’est la droite raison dans l’agir, c’est le seul moyen qui nous permette d’atteindre le bien sûrement et efficacement. Il ne nous reste plus qu’à inscrire ces bonnes dispositions dans le marbre et faire vivre en nous cette belle vertu !

Sursum corda – Haut les cœurs !

Abbé Thibaud Favre

  • 1. Matthieu 10, 16.
  • 2. I Corinthiens 9, 26.
  • 3. Isaïe 32, 4.