Lettre Circulaire aux fidèles de Suisse – Le Rocher 140 – Déc. 2022 - Janv. 2023

[[{"fid":"156378","view_mode":"file_styles_main_visual","fields":{"format":"file_styles_main_visual","alignment":"","field_file_image_alt_text[und][0][value]":false,"field_file_image_title_text[und][0][value]":false,"field_image_title[de][0][value]":"","field_image_description[de][0][value]":""},"type":"media","field_deltas":{"1":{"format":"file_styles_main_visual","alignment":"","field_file_image_alt_text[und][0][value]":false,"field_file_image_title_text[und][0][value]":false,"field_image_title[de][0][value]":"","field_image_description[de][0][value]":""}},"link_text":null,"attributes":{"class":"media-element file-file-styles-main-visual","data-delta":"1"}}]]

 

Bien chers fidèles,

On se reproche parfois de manquer de foi ou d’esprit de foi. On regrette souvent de n’avoir pas assez de charité, que ce soit envers Dieu ou envers le prochain. Mais il ne nous vient que peu à l’idée de nous interroger sur notre espérance et c’est bien regrettable, car elle est trop souvent délaissée.

Pour y remédier, rien de mieux que le temps de l’Avent, temps de l’espérance par excellence, temps où nous commémorons ces siècles au cours desquels les justes de l’Ancien Testament ont attendu la venue du Messie, temps finalement qui nous prépare à la naissance du Sauveur comme l’espérance prépare notre naissance au ciel !

La liturgie de l’Avent va même jusqu’à nous souhaiter l’obtention de cette vertu, comme nous le voyons au deuxième dimanche avec cette belle épître de saint Paul aux Romains 1  : « Que le Dieu de l’espérance vous donne toute joie pour que vous soyez riches d’espérance ». Si l’apôtre des Gentils nous fait désirer devenir riches en espérance, c’est donc que l’on peut en être vraiment pauvre.

On a souvent une très mauvaise idée de ce qu’est l’espérance, en la voyant comme une espèce de moyenne avec une plus ou moins grande probabilité de nous sauver et d’obtenir le ciel… Mais l’espérance n’est pas une prévision. Contrairement à l’idée commune que l’on se fait, espérer ce n’est pas scruter l’avenir, ce n’est pas établir un pronostic dont la conclusion aboutit à un plus ou moins grand espoir de salut ! Elle n’est pas non plus un saut dans l’inconnu qui nous ferait dire de notre avenir éternel : on verra ! Non, ces calculs ou cette témérité n’ont rien de commun avec l’espérance chrétienne, car l’objet de notre espérance c’est Dieu, la possession de Dieu, et Dieu ne se mesure pas, Dieu ne se compare pas. L’espérance est donc bien différente de ces calculs et estimations très humains, c’est au contraire l’assurance complète et totale que Dieu donne sa grâce dans ce monde et le bonheur éternel dans l’autre, si nous sommes fidèles.

Voilà pour ce que l’espérance n’est pas. Mais il y a ce que l’espérance pourrait être… car on se prend parfois à penser que ce serait drôlement pratique si Dieu nous découvrait l’avenir, si l’espérance nous dévoilait le futur ! En fait, elle nous conduit plutôt au sentiment inverse : que Dieu est bon de nous avoir caché l’avenir ! Si nous connaissions la somme des épreuves qui nous attendent au cours de notre vie, certainement que cette pensée nous effraierait ou même nous empêcherait d’avancer. Par conséquent le mystère qui entoure le futur nous oblige à nous remettre entièrement à Dieu et non à nous-mêmes : il est le maître de tout !

Faut-il donc pour autant tout laisser aller, sous prétexte que tout est entre les mains de Dieu ? Non, ce serait encore mal comprendre cette belle vertu de l’espérance qui combat l’imprévoyance comme elle lutte contre l’inquiétude. Car il faut envisager le futur, mais en agissant aujourd’hui, en faisant aujourd’hui, de notre mieux, notre devoir d’état.

Manquer de prévoyance est une faute, car on sacrifie l’avenir au présent. Mais l’inquiétude n’est pas meilleure puisqu’elle sacrifie le présent à l’avenir. Dieu nous demande de préparer le futur, d’y consacrer toutes les forces d’aujourd’hui, mais il nous demande aussi de ne pas nous en inquiéter : « Ne vous inquiétez pas du lendemain ! » 2

Du reste, l’inquiétude est généralement illusoire. On imagine un futur possible et on échafaude dans le présent des difficultés qui n’existent pas. On en souffre déjà comme si elles étaient là, on vit dans l’illusion et on oublie la sage parole de l’Evangile : « A chaque jour suffit sa peine ! » 3 L’inquiétude de plus nous démoralise : elle ne supprime pas les malheurs que nous redoutons pour le futur, mais au contraire elle en grossit les difficultés. En fait cette inquiétude voudrait maîtriser le futur, tout anticiper, tout planifier, mais c’est s’arroger la place de Dieu, qui s’arrange d’ailleurs souvent pour nous le faire comprendre. La meilleure préparation du futur ou pour mieux dire l’espérance la plus appliquée, c’est de bien agir aujourd’hui, dans la plus parfaite conformité à la volonté de Dieu : donnez-nous notre pain quotidien !

Par conséquent voici ce que nous enseigne l’espérance : elle ne se fonde pas sur l’impossible sécurité du lendemain, mais au contraire elle nous procure la paix dans l’insécurité de tous les jours. Car c’est aujourd’hui que nous espérons sans rien savoir de ce que le futur nous réserve, c’est aujourd’hui que nous avons une confiance totale en Dieu. Et notre sécurité réside dans cette certitude que nous avons un Dieu qui nous aime et qui nous veut du bien !

De ce bonheur du ciel qu’elle nous fait entrevoir, des grâces que Dieu nous accorde à chaque instant de notre vie pour y parvenir, l’espérance ne nous en fait pas douter une seconde. Et plus nous possédons cette vertu, plus notre âme est tournée vers Dieu. Nous nous appuyons uniquement sur la toute-puissance de Dieu et notre confiance repose entièrement en lui.

Autant notre foi doit être absolue en Dieu malgré l’obscurité et malgré les difficultés, autant notre charité doit répondre à cet amour si grand de Dieu pour nous, autant l’espérance installe cette conviction au plus profond de nos cœurs : ce Dieu en qui nous croyons, ce Dieu qui nous aime et que nous aimons, ce Dieu nous a promis son aide aujourd’hui et le bonheur du ciel à notre mort si nous restons fidèles.

Je ne peux que laisser Charles Péguy 4 résumer en quelques mots ces pensées : « Je n’aime pas, dit Dieu, celui qui spécule sur demain, je n’aime pas celui qui sait mieux que moi ce que je vais faire. Pensez à demain, mais je ne vous dis pas : calculez ce demain. Ne soyez point ce malheureux qui se retourne et se consume dans son lit pour savoir ce que sera la journée de demain. Sachez seulement que ce demain dont on parle toujours est le jour qui va venir et qu’il sera sous mon commandement comme les autres. » 5

L’espérance, c’est donc la vertu de l’Avent, parce que chaque jour de ce temps nous prépare à notre naissance au ciel en suivant pas à pas l’Enfant-Dieu dans sa venue sur cette terre. La sainte Vierge Marie était une femme d’espérance, car elle se laissa guider docilement par celui qu’elle devait mettre au monde dans une crèche. Prions qu’elle nous donne cette même docilité à la volonté de Dieu et cette espérance sans relâche dans celui qui nous donne sa grâce en ce monde et le bonheur éternel dans l’autre.

Abbé Thibaud Favre

  • 1Rom. 15, 13.
  • 2Matth. 6, 34.
  • 3Ibid.
  • 4Charles Péguy (1873-1914), écrivain français, est un poète et penseur engagé de son époque, il est un des auteurs majeurs du XXe siècle. Pourtant, son héritage intellectuel est aujourd’hui souvent méconnu.
  • 5Le mystère des saints Innocents.