Bien chers fidèles,
« Prenez-moi et jetez-moi à la mer, et la mer se calmera » 1 . L’exemple que la Sainte Ecriture nous donne de Jonas est une illustration magnifique de l’héroïsme qui fait se sacrifier pour le bien commun. C’est une attitude qui n’est l’apanage ni des saints, ni des héros, Jonas d’ailleurs fuyait l’appel de Dieu. C’est en fait la disposition indispensable qui permet l’existence de la vie en société.
Le bien commun est supérieur au bien particulier, c’est une autre façon de résumer l’attitude du prophète Jonas. Cette considération pourrait paraître évidente à première vue, c’est cependant loin d’être le cas. Il semble donc nécessaire, dans la pandémie que nous traversons, de nous arrêter sur les « effets secondaires » que cause cette crise, effets en réalité pas si secondaires, puisqu’ils ont mis à mal des aspects fondamentaux de la vie en société, à savoir la nécessaire confiance envers le prochain et tout particulièrement envers l’autorité.
En tant qu’êtres humains, notre nature est de vivre en société, et pour permettre cette vie en société, il est primordial de nous ordonner au bien commun. Ce rappel est d’autant plus important que l’on se demande souvent comment réaliser aujourd’hui une vie en société ? La crise de la société fait que nous n’avons plus confiance ni dans les autorités ni même dans les personnes qui nous entourent. Nos sociétés ne sont plus vraiment dignes de ce nom, mais sont devenues un agrégat d’individus recherchant leur bien particulier. C’est le triomphe de l’individualisme.
Pourtant une famille ne s’épanouit qu’en étant une famille unie, où chacun est capable de se sacrifier pour le bien de tous. Une paroisse fonctionne, si tout le monde donne du sien sans avoir peur des sacrifices que cela impose, et où chacun pense plus à donner qu’à recevoir.
Une société nécessite également un autre aspect lié à l’idée du bien commun : la confiance en notre prochain. S’il y aura toujours des personnes indignes de confiance, la société nécessite tout de même une confiance réciproque. Une société où tout un chacun se méfie de son prochain, de ses autorités, se meurt. C’est la situation qui émerge dans la crise pandémique actuelle, où les nouveaux médias génèrent et attisent une méfiance généralisée, source de grande confusion. Comment vivre si l’on pense que notre médecin est devenu un danger pour nous ? Faut-il se défier d’un prêtre dans la crise pandémique, alors qu’il vient de nous donner la grâce et nous encourager au bien ?
Saint Thomas d’Aquin a donné une belle leçon à des novices qui lui faisaient une plaisanterie, lui disant qu’on pouvait apercevoir un bœuf volant. Malgré les rires de ses confrères, il se précipita vers la fenêtre et répliqua : « Je préfère croire qu’un bœuf vole plutôt que de penser qu’un moine ment. » Au-delà de l’anecdote et de la plaisanterie qui prête à sourire, saint Thomas donne une belle leçon de confiance dans son prochain.
Cette confiance doit être fondée. Nous vivons dans une société où l’accès facilité à un certain savoir, ou plutôt à une profusion d’informations, donne facilement l’impression de tout connaître. Avons-nous réfléchi à notre usage d’internet et des réseaux sociaux ? Combien de personnes accordent désormais une confiance totale à d’illustres inconnus qui parlent devant une caméra… et mettent en doute la bonne foi et la fidélité de ceux qui les ont aidées des années durant ?
On en arrive donc aisément à une confusion des domaines et des compétences. Ce n’est pas parce qu’on a entendu un scientifique sur YouTube qu’on est soi-même scientifique, ni parce qu’on a lu un rapport de médecin qu’on est devenu médecin : « Que chacun s’exerce dans l’art qu’il connaît », c’est la leçon toujours actuelle que donnait Cicéron. Internet nous donne l’impression de tout connaître, alors qu’il nous faudrait bien plutôt l’humilité d’un Socrate : « Je ne sais qu’une seule chose, c’est que je ne sais rien. »
Que chacun reste dans son domaine et pour cela, il faut faire confiance aux personnes compétentes. Un prêtre, en tant que tel, n’est ni médecin, ni psychologue, ni gestionnaire de crise. Notre compétence, c’est le domaine spirituel, ce sont les âmes. Il nous arrive évidemment d’aider les gens dans différents domaines, mais ce n’est pas notre mission propre : il est inutile d’attendre d’un prêtre qu’il ait réponse à tout et il serait dangereux qu’il s’occupe des moindres détails de notre vie ! Cela vaut aussi pour les fidèles : chacun sa compétence.
Le bon ordre est justement que chacun reste à sa place. Je crois que les problèmes soulevés par les questions sanitaires et les vaccins seraient gérés bien plus paisiblement si nous appliquions ce principe. Platon dit que le début de la décadence arrive quand le cordonnier et le boulanger effectuent le travail l’un de l’autre : rien de neuf sous le soleil, surtout par temps de corona !
En fait, tous ces différents problèmes devraient être résolus par ce qui est sensé mettre de l’ordre dans une société et la protéger, l’autorité ! L’autorité est comme le ciment qui permet d’édifier solidement une société. C’est elle qui poursuit le bien commun et oriente les activités vers cette fin. Certes, elle doit rester dans son domaine propre, si bien qu’il faudrait lui désobéir, si elle allait à l’encontre du bien ou qu’elle s’écartait de ses compétences propres. Mais il reste les nombreux points de prudence où il faut lui obéir et l’épauler. Elle nous soutiendra en retour dans une recherche toujours plus active du bien commun.
Parlant de l’autorité, il nous arrive de constater qu’elle n’est pas à la hauteur de sa tâche, et facilement, nous versons dans la critique, estimant l’autorité incompétente. N’oublions pas que celui qui est revêtu de l’autorité n’est ni forcément le plus intelligent, ni le plus saint. La sainte famille est un bel exemple à ce sujet (même si nous aimerions bien posséder la sainteté et l’intelligence de saint Joseph).
Le problème des temps de crise, c’est aussi que, constatant les lacunes des autorités, nous finissons par critiquer toute autorité. Ne détruisons pas celles qui sont à notre portée : la famille, notre petit monde de la Tradition, en remettant à l’honneur la confiance envers le prochain. C’est triste, et il faut le dire avec franchise : quelle personnalité, quel prêtre, quel instituteur ou même quel parent ose s’aventurer à dire quelque chose sans que le premier réflexe de l’interlocuteur soit de tout remettre en question ?
Chers fidèles de Suisse, nous avons en fait tout pour bien faire, cela fait des années que nous travaillons dans ce sens et que nous pouvons poursuivre le travail que d’autres ont commencé avant nous. Alors, malgré les épreuves que nous traversons et parfois grâce à elles, renforçons plus que jamais notre disposition au bien commun, travaillons sur la confiance prudente qu’il nous faut accorder à notre prochain et soutenons l’autorité qui s’efforce de diriger toutes les sociétés vers leur fin.
Abbé Thibaud Favre
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- 1Jonas 1,12.