Lettre Circulaire aux fidèles de Suisse – Le Rocher 133 – Oct.-Nov. 2021

Bien chers fidèles,

Nous célébrons cette année les 450 ans de la bataille de Lépante. Loin de moi, dans ces quelques mots qui vous sont adressés, de prétendre faire œuvre d’historien. D’autres le feront avec plus de science et de talent 1 . Je voudrais tout simplement vous proposer quelques réflexions à l’occasion de ce jubilé.

« L’histoire est un éternel recommencement » disait le grec Thucydide quelques siècles avant notre ère. C’est peut-être plus une constatation aux multiples exceptions qu’une règle stricte, mais une chose est certaine : ce serait singulièrement manquer d’intelligence de ne pas profiter des leçons du passé.

Ce qui doit nous interpeller en tout premier lieu en considérant la bataille de Lépante, c’est sa cause. La chrétienté était sous le danger imminent d’une occupation musulmane. Vienne avait failli tomber en mains ottomanes. Il fallait réagir à cette menace. La chrétienté devait se mobiliser, sans quoi toute l’Europe passerait sous le joug de l’islam !

Mais quelles difficultés pour mettre en place cette réaction ! De grandes nations chrétiennes comme la France et l’Angleterre invoquèrent des motifs peu glorieux pour ne pas y prendre part. Il faudra toute la diplomatie et la conviction du Saint-Siège pour constituer une armée digne de ce nom. Grâce à Dieu, la Sainte Ligue se forma petit à petit et partit vaillamment affronter l’ennemi sous la conduite de Jean d’Autriche.

Le résultat de cette mobilisation nous est connu : c’est une victoire éclatante contre un ennemi bien plus fort et bien plus nombreux : la bravoure et la vaillance n’a pas craint le combat. La flotte musulmane était réputée invincible, elle céda pourtant devant les croisés et la victoire fut retentissante : près d’un demi-millénaire après, nous en parlons encore !

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Pourtant, cette victoire n’est pas d’abord une victoire tactique ni un vaillant fait d’armes. Elle est d’abord et avant tout d’ordre surnaturel. C’est moins visible, mais tellement efficace ! En effet, afin d’implorer la protection céleste sur la flotte chrétienne, le pape saint Pie V ordonna un jubilé solennel, un jeûne et la prière publique du Rosaire. Le rôle de la prière fut indéniable dans cette bataille. Saint Pie V en eut lui-même l’assurance le soir même par une révélation divine qui lui annonça la victoire. Les hommes avaient combattu, le Rosaire avait triomphé.

De ce glorieux fait historique, il nous tirer des leçons pour aujourd’hui. Il nous faut scruter avec intelligence les faits, et tirer les enseignements du passé. Quels sont les points communs notables entre Lépante et notre XXIe siècle ?

Le premier, sans aucun doute, est le danger imminent dans lequel se trouve la chrétienté. Ce danger qui avait fait se lever des troupes entières doit, comme alors, nous sortir de notre torpeur. Si l’islam est bien là et fait partie des assaillants en terres autrefois chrétiennes, il n’est pas le seul. La civilisation chrétienne est en butte à de nombreux ennemis, et la situation semble humainement perdue.

La catholicité devrait donc se liguer comme à Lépante… mais comme pour Lépante, la division des bons est là, béante et terrible. Il y avait un saint Pie V pour sauver la chrétienté… mais les autorités romaines aujourd’hui ne semblent pas même prendre la mesure du danger.

Pourtant, comme alors, nous avons à portée de main les mêmes réponses. La logique de Lépante n’est pas dans une bataille navale à reproduire, mais dans un combat spirituel où toutes nos forces sont requises. Et si cette logique est respectée, la démarche sera couronnée de succès.

Certes nos adversaires ont leurs convictions, des convictions fermes dont ils vivent. Alors pourquoi ne pas nous mobiliser à l’image de la Sainte Ligue ? Avons-nous perdu nos convictions, la perception de l’importance, de l’urgence de notre combat ? C’est probablement ce qui nous manque le plus. Le pape Léon XIII avait raison : « Rien n’enhardit autant l’audace des méchants que la faiblesse des bons ». Les choses n’ont guère changé dans ce domaine !

Nous avons donc à mener une croisade, comme nous y invitait Mgr Marcel Lefebvre lors de son Jubilé sacerdotal 2 et cette croisade commence par un premier combat très concret : le combat de nos familles, de nos écoles. Ne cédons pas à la tentation de l’isolement. Il faut réunir nos forces pour ce combat. Si la bataille de Lépante s’est dénouée en quelques heures, elle a cependant été préparée en amont par bien des efforts et des victoires. Voilà exactement notre devoir : continuons nos efforts, allons de victoires en victoires, dans nos foyers, pour nos enfants, sur nous-mêmes, nos défauts, nos péchés. Ne nous laissons surtout pas décourager par le manque de résultats en apparence.

Car cette croisade est surtout spirituelle. On hésite parfois à multiplier les initiatives de cet ordre pour ne pas les banaliser, pourtant c’est chaque jour que nous devrions partir en croisade, chaque jour que nous devrions à la suite de saint Pie V prendre les armes spirituelles pour donner la seule réponse possible à ce combat qui dépasse de loin nos pauvres petites forces.

En commémoration de la bataille de Lépante, saint Pie V ajouta aux Litanies de la très Sainte Vierge, une invocation supplémentaire : « Secours des chrétiens, priez pour nous », et il ordonna l’institution de la fête de Notre-Dame des Victoires que Grégoire XIII fera ensuite célébrer dans toutes les églises, chaque premier dimanche d’octobre, sous le nom de fête du saint Rosaire.

Réciter le saint Rosaire et les litanies de la très sainte Vierge, comme cela se fait dans toutes les maisons de la Fraternité durant ce mois d’octobre : voilà de quoi préparer une nouvelle victoire, un nouveau Lépante. C’est simplement la promesse du Christ à son Eglise : les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre elle !

Abbé Thibaud Favre

  • 1Cf. la page d’histoire de l’Eglise dans ce bulletin, par exemple.
  • 2Sermon du 23 septembre 1979. Cf. Le Rocher n° 132, pages 6 à 9.