Un bon conseil, est-ce cher ?
Saint Thomas d’Aquin écrit : « Un seul homme ne peut, qu’à la longue, se rendre compte de tous les points de vue et circonstances dans lesquels se présentent ses multiples actions. S’il veut être prudent, il a donc besoin de prendre leçon près des autres, et spécialement près des anciens dont l’esprit assagi et mûri lui enseignera la pratique vertueuse »1 .
Le Rocher : En 1932 déjà, un prêtre écrivait : « S’il y a dans notre société tant de vies brisées, tant de cœurs ravagés, tant d’âmes désemparées, croyez que c’est parce qu’au moment des grandes décisions qui vont les fixer dans leur existence, les jeunes n’ont pas su demander et tenir compte des conseils de ceux qui voulaient leur bien ! » Monsieur l’abbé, avez-vous l’impression que ce problème est aussi celui de nos fidèles du district de Suisse : prennent-ils trop peu conseil auprès des autres ?
M. l’abbé Pascal Schreiber : Nous vivons dans un monde où l’Eglise et le sacerdoce ont beaucoup perdu de l’importance et de l’estime où on les tenait. Lorsqu’aujourd’hui les médias parlent de l’Eglise catholique et du sacerdoce, c’est le plus souvent en rapport avec la pédophilie. Gerhard Schröder, le prédécesseur d’Angela Merkel en tant que chancelier fédéral allemand, a dit un jour en substance : « Nous ne voulons pas combattre l’Eglise, nous voulons la rendre superflue. »
Nos fidèles vivent dans ce monde et sont influencés par lui. C’est pourquoi je crois qu’en général, ils demandent trop peu conseil au prêtre. Cela relève de la vertu de prudence de demander conseil dans les décisions importantes de la vie. Le prêtre a aussi le devoir de faire progresser les fidèles dans la vie spirituelle. Les exercices spirituels peuvent jouer là un rôle décisif.
Le Rocher : A quelle fréquence les fidèles doivent-ils demander conseil au prêtre ?
M. l’abbé Schreiber : La plupart des fidèles n’ont pas besoin d’un directeur de conscience attitré, mais un bon conseiller dans les situations importantes de la vie est nécessaire pour tous. Les passages difficiles sont les années de la puberté et parfois aussi celles de la crise de la quarantaine. Les fidèles traversent ces phases plus facilement quand ils sont accompagnés par un prêtre. C’est aussi important, en temps de crise, lors de cas de conscience, quand de grandes difficultés se présentent ou devant d’importantes décisions, de prendre contact avec un prêtre. Je conseille aux jeunes gens de recourir à un prêtre non seulement pour la préparation au mariage, mais déjà lors du choix du conjoint ou dès les débuts d’une relation.
Le Rocher : Beaucoup de fidèles n’osent pas « déranger » les prêtres pour leurs préoccupations personnelles.
M. l’abbé Schreiber : Bien sûr la plupart des prêtres sont occupés à plein temps. Mais cette objection de la part des fidèles est peut-être aussi un prétexte, car un entretien avec un prêtre demande un peu d’engagement. Surtout les jeunes peuvent tout d’abord avoir du mal à parler des difficultés et des défis de leur vie. Dans le même temps, ce domaine est un des plus grands devoirs de l’activité du prêtre. Tôt ou tard, l’on aboutira de toute façon chez le prêtre et donc il vaut mieux prendre avec lui les bonnes décisions avant, plutôt que de devoir corriger après les conséquences d’un mauvais choix.
Le Rocher : N’arrive-t-il pas que, malgré le conseil demandé au prêtre, de mauvaises décisions ne soient prises ?
M. l’abbé Schreiber : Malheureusement c’est parfois le cas, car les prêtres ne sont pas infaillibles. C’est pourquoi ils doivent se donner assez de temps pour écouter les gens, éclaircir les tenants et aboutissants et examiner les divers aspects. Il y a aussi naturellement des domaines qui dépassent les compétences du prêtre. Dans ce cas le prêtre doit avoir recours à l’aide d’un professionnel ou, mieux encore, diriger les fidèles vers des gens qui sont spécialisés dans le domaine en question2 . Il s’agit de travailler main dans la main et d’atteindre ainsi le meilleur résultat. Lorsqu’un prêtre agit ainsi, la possibilité d’une mauvaise évaluation diminue.
C’est d’ailleurs très profitable que les fidèles prennent rendez-vous à l’avance avec le prêtre. Il peut ainsi prévoir assez de temps et ne sera pas dérangé par d’autres occupations.
Le Rocher : L’expérience montre que les fidèles n’ont pas la même confiance envers tous les prêtres. Qu’en pensez-vous ?
M. l’abbé Schreiber : Il est bien clair que tous ne sont pas d’aussi bons conseillers. Sainte Thérèse d’Avila dit que, lorsqu’on peut choisir entre deux prêtres, un prudent et un saint, on doit choisir le prudent. Il y a aussi cette célèbre phrase pour le choix d’un père abbé : « Si sanctus est, oret pro vobis ; si doctus est doceat vos ; si prudens est, reget vos. – S’il est saint, qu’il prie pour vous ; s’il est érudit, qu’il vous instruise ; s’il est prudent, qu’il vous conduise. »
En principe il faut se tourner vers un prêtre de son prieuré, parce que cela correspond à l’esprit de l’Eglise et qu’un prêtre qui est sur place connaît souvent mieux les conditions de vie. Dans les prieurés de Wil et de Genève nous avons la chance d’avoir le choix entre quatre prêtres, à Wangs il y en a même cinq. Dans d’autres chapelles on peut choisir entre le prieur, qui passe de temps en temps, et le responsable de la chapelle.
Naturellement tous les prêtres n’ont pas les mêmes dons et qualifications pour des questions spécifiques, et parfois il est opportun de demander un prêtre qui, de par ses études, sa formation professionnelle, etc., possède plus d’expérience dans le domaine donné. Il existe aussi des gens qui vont d’un prêtre à l’autre pour trouver enfin la solution qui leur convient le mieux. Qu’une telle attitude n’amène aucune bénédiction, cela tombe sous le sens.
Le Rocher : Pourquoi faut-il demander conseil à un prêtre ? Il y a beaucoup de fidèles qui peuvent aussi donner de bons conseils.
M. l’abbé Schreiber : En effet il y a d’autres fidèles qui sont de très bons conseillers. L’un n’empêche pas l’autre. Ce qui caractérise le prêtre est que dans sa vie de prêtre il est souvent en contact avec des âmes et qu’il a donc beaucoup vu et beaucoup entendu. Cela enrichit considérablement son expérience. Cette situation lui permet de juger les choses plus facilement que d’autres. Il est donc émotionnellement plus libre et ce qui lui tient à cœur au premier plan, c’est le bien des fidèles et pas son intérêt personnel.
Lorsqu’un prêtre se laisse conduire par le Saint-Esprit, on peut être certain que celui-ci l’éclaire pour qu’il vienne en aide aux hommes dans leurs intérêts temporels et spirituels et les conduise à la perfection et à la sainteté. Le prêtre peut aussi associer encore plus intimement à sa messe quotidienne les intentions de ses « ouailles » quand il est au courant de leurs besoins particuliers et des décisions qu’ils doivent prendre.
Le Rocher : Y a-t-il encore quelque chose dont il faille tenir compte ?
M. l’abbé Schreiber : Je voudrais encore évoquer les soi-disant tentations « sous apparence de bien ». En d’autres termes : le fidèle tient pour bonne une chose qui en réalité conduit dans la mauvaise direction.
Deux exemples : les époux Martin, parents de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, voulaient initialement contracter un mariage blanc. Sur les conseils d’un prêtre, ils abandonnèrent ce projet et donnèrent ainsi à l’Eglise une de ses plus grandes saintes. Leurs motivations étaient bonnes en soi, louables même, mais elles n’étaient pas adaptées aux circonstances et aux conditions de l’époque. Ou prenons le cas (fictif) de la jeune Monique qui n’arrive simplement pas à se lever à temps le matin. Il lui vient alors « l’idée géniale », chaque fois qu’elle ne tient pas sa résolution, de renoncer à la sainte communion. Elle tient beaucoup à la communion quotidienne, mais elle pense que ce renoncement peut la conduire à s’améliorer. Le prêtre le lui déconseille car comment peut-elle avancer dans la vie spirituelle si elle renonce à la plus grande source de force ? Dans de telles difficultés, le conseil du prêtre est précieux et aide à découvrir les pièges du démon qui se présente sous les apparences d’un ange de lumière.
Le Rocher : N’y a-t-il pas à ce sujet le célèbre exemple tiré de la vie du saint Curé d’Ars ?
M. l’abbé Schreiber : Oui en effet. Saint Jean-Marie Vianney a été tenté par trois fois de quitter sa paroisse. Il voulait se retirer chez les trappistes pour y pleurer sa misérable vie, comme il le disait. Quiconque lit la biographie du saint remarque au premier coup d’œil qu’il s’agit d’une tentation du démon. Monsieur des Garets, le maire d’Ars, va droit au but : « Je suis convaincu qu’il y a une tentation du démon là-derrière, dont il ne s’est pas rendu compte étant par ailleurs si versé dans les voies de Dieu. Le démon savait tout le bien que M. Vianney accomplissait par le pèlerinage à Ars et qui ne ferait que s’accroître dans l’avenir. Il avait donc tout intérêt à éloigner, pour des raisons valables, le Serviteur de Dieu du village. » Cet exemple montre que souvent nous sommes de mauvais conseil lorsque nous sommes concernés personnellement. On peut bien être très avancé dans la vie spirituelle, le danger existe toujours. Quel don du ciel lorsqu’un conseiller ecclésiastique nous aide à rester dans le droit chemin !
Le Rocher : Merci beaucoup, Monsieur l’abbé Schreiber, pour cet entretien.
(Propos recueillis par le Mitteilungsblatt, trad. pour Le Rocher, M.-J. R)