Sermon de Mgr Fellay : ordinations à Zaitzkofen
Sermon de Mgr Fellay lors des ordinations à Zaitzkofen, le 2 juillet 2016, en la fête de la Visitation
Le but de l’Eglise est le salut des âmes
Chers ordinands, chers prêtres, chères sœurs, chers fidèles,
Au commencement de cette cérémonie d’ordination j’aimerais vous lire un texte que j’ai déjà lu à Ecône il y a trois jours, et sur lequel je bâtirai ce sermon, en trois points : la foi, le prêtre, Marie.
Le but de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X est principalement la formation des prêtres, condition essentielle du renouveau de l’Eglise et de la restauration de la société.
- Dans la grande et douloureuse confusion qui règne actuellement dans l’Eglise, la proclamation de la doctrine catholique exige la dénonciation des erreurs qui ont pénétré en son sein, malheureusement encouragées par un grand nombre de pasteurs, jusqu’au Pape lui-même.
- La Fraternité Saint-Pie X, dans l’état présent de grave nécessité qui lui donne le droit et le devoir de distribuer les secours spirituels aux âmes qui recourent à elle, ne recherche pas avant tout une reconnaissance canonique, à laquelle elle a droit en tant qu’œuvre catholique. Elle n’a qu’un désir : porter fidèlement la lumière de la Tradition bimillénaire qui montre la seule route à suivre en cette époque de ténèbres où le culte de l’homme se substitue au culte de Dieu, dans la société comme dans l’Eglise.
- La « restauration de toutes choses dans le Christ », voulue par saint Pie X à la suite de saint Paul (Eph 1,10), ne pourra se réaliser sans le soutien d’un Pape qui favorise concrètement le retour à la Sainte Tradition. En attendant ce jour béni, la Fraternité Saint-Pie X entend redoubler d’efforts pour établir et diffuser, avec les moyens que lui donne la divine Providence, le règne social de Notre-Seigneur Jésus-Christ.
- La Fraternité Saint-Pie X prie et fait pénitence pour que le Pape ait la force de proclamer intégralement la foi et la morale. Ainsi il hâtera le triomphe du Cœur Immaculé de Marie que nous appelons de nos vœux, à l’approche du centenaire des apparitions de Fatima.
La foi est le principe premier
Il y a des gens qui se demandent : à quoi bon ce communiqué, qu’est-ce qu’il veut dire ? Bien chers fidèles, il correspond à ce temps de bouleversement dans lequel nous vivons. Beaucoup aimeraient voir les choses en noir et blanc, mais ce n’est pas ainsi. C’est pourquoi ce communiqué ne veut pas dire que nous voulons rompre avec Rome, mais que nous demandons la clarté et que nous ne sommes pas prêts à faire dérailler notre train…, car il y a des réalités plus importantes (qu’une reconnaissance purement canonique) sur lesquelles il faut insister. Chaque société – que ce soit l’Etat ou l’Eglise – a un but, une structure, avec ses droits et ses lois. C’est d’ailleurs pourquoi on peut dire que l’Eglise est aussi un Etat de droit. Ce droit est celui d’avoir et de respecter l’ordre qui correspond à sa finalité. Et il peut y avoir des abus.
Le tout premier point pour chaque société est son but qui domine tout, qui fixe sa structure, sa constitution, ses moyens. Ainsi, le but de l’Eglise est le salut des âmes. C’est pourquoi le Droit canonique dit que la loi suprême est le salut des âmes, suprema lex salus animarum. Cela signifie, mes chers frères, que toute loi, que tout exercice de l’autorité a sa valeur et puise sa force dans cette loi suprême : le salut des âmes. C’est vrai pour chaque loi, c’est vrai pour chaque charge dans l’Eglise, y compris celle du pape. Si une autorité quelconque s’éloigne de ce but ou s’y oppose, cela signifiera un abus et on ne devra pas suivre cette autorité. C’est pourquoi nous disons, d’un côté, que nous avons le droit d’être reconnus comme catholiques, c’est normal, c’est juste ; et de l’autre côté, que cela n’est pas le principal. Le principal est le salut des âmes.
Comment l’Eglise conduit-elle les âmes au salut ? Nous avons un premier principe : c’est la foi. Notre Sauveur lui-même – et pas seulement l’Eglise –, Dieu lui-même a dit : « Celui qui ne croit pas est déjà jugé » (Jn 3,18). Celui qui refuse la foi, la foi catholique, et qui adhère à l’erreur, celui qui s’écarte et ne garde pas cette foi intacte et intégrale, périra pour toute l’éternité – c’est ainsi que s’exprime le Symbole de saint Athanase, « absque dubio, sans aucun doute »[1]. Pour cette raison, la foi détermine chaque action ecclésiale. Tel est le premier principe sur lequel nous nous fondons et nous construisons notre œuvre. Dans une époque où tant d’erreurs se répandent non seulement à l’extérieur, mais aussi à l’intérieur de l’Eglise, c’est notre devoir premier de garder et défendre cette foi, et de condamner les erreurs ; et cela est et devrait être le premier devoir des autorités suprêmes de l’Eglise.
Nous faisons un grand reproche aux autorités car, au baptême, la première question est : « que demandez-vous à l’Eglise de Dieu ? », et la réponse est : « la foi ». Pourquoi ? Parce qu’elle conduit au salut éternel, à la vie éternelle ! Sans cette foi nous n’avons pas le salut éternel. Jusqu’au Concile, l’Eglise a établi ses lois et posé toutes ses actions en vue de la conservation et de la propagation de la foi. Depuis le Concile, ce devoir principal est devenu secondaire. Ainsi nous nous trouvons actuellement dans un état de bouleversement incroyable. Et justement, parce que nous refusons ce bouleversement, parce que nous voulons travailler à la conservation et la propagation de la foi, nous avons été condamnés, et nous le sommes jusqu’à aujourd’hui. Eh bien, c’est un fondement que nous ne sommes pas prêts d’abandonner – et nous ne le devons pas non plus ! La foi doit occuper la toute première place.
Le prêtre est l’instrument de Jésus-Christ
Aujourd’hui précisément, nous avons l’occasion d’ordonner des prêtres ; or sans prêtre pas de messe. Le premier but d’un prêtre est de célébrer la sainte Messe. Le prêtre est fait pour la sainte Messe, pour le sacrifice de la Messe qui est identique au sacrifice du Christ sur le calvaire. Oui, bien chers fidèles, chaque fois que vous assistez à la sainte Messe, vous montez sur le calvaire ; chaque fois vous rencontrez Jésus crucifié qui meurt sur la croix sacramentellement. De nouveau il donne sa vie pour nous, à cause de nos péchés – comme le dit le Concile de Trente – ; c’est à cause de nos péchés quotidiens que la sainte Messe est célébrée chaque jour.[2] La sainte Messe est l’acte par lequel les péchés des hommes sont réparés, expiés, et par lequel les pauvres hommes que nous sommes se réconcilient avec Dieu. C’est ainsi que la sainte Messe est la source de toutes les grâces, absolument toutes les grâces. Jésus-Christ nous a mérité purement et simplement toutes les grâces que nous recevons. Et cela est vrai pour chacun des hommes, depuis Adam jusqu’à la fin du monde.
Tout le bien, vraiment tout le bien accompli ici-bas par les hommes découle de la croix. De cette façon, on peut comprendre les paroles du Padre Pio disant qu’il est plus facile au monde de survivre sans le soleil que sans le saint Sacrifice de la Messe. Et nous n’avons aucune hésitation à dire que la restauration, que le remède à cette incroyable crise de l’Eglise découle de la Messe et vient donc du prêtre. Et cela est vrai non seulement pour l’Eglise, mais aussi pour la société, car la société humaine, avec son but terrestre et temporel, a également besoin des grâces qui découlent du saint Sacrifice de la Messe. Toujours selon l’enseignement du Concile de Trente, un homme ne peut pas vivre sans pécher, s’il ne reçoit pas le soutien de la grâce ; il a besoin de la grâce pour ne pas pécher. Cela est vrai pour tout homme, cela est vrai aussi pour la famille et pour la société. Si on veut la société en ordre – étant donné que cette société se compose d’hommes nés avec le péché originel –, il n’y a pas d’autre solution que d’aller à Notre Seigneur. Il est le Sauveur, il nous mène vers le Ciel, mais en même temps, il est le Rénovateur d’une société juste ici-bas, sur terre. Comme il est Dieu, il est aussi le maître de la société. Encore une fois, la rénovation de la société découle de la sainte Messe.
Regardez comment cela s’est passé dans l’histoire. Regardez comment autrefois nos aïeux ont bâti tous les villages autour d’une église. C’est une représentation physique de cette vérité sublime : l’ordre dans la société découle du sacrifice que seul le prêtre peut réaliser. Il n’y a pas d’autre espérance de restauration, même pour la société qui est gravement blessée par ces lois incroyables qui la conduisent à sa perte. Il n’existe aucune solution sans le prêtre catholique. Et de nouveau, lorsque nous disons prêtres, nous disons sainte Messe. Si nous savions ce qu’est un prêtre ! Si nous savions combien il est grand, quels pouvoirs il tient entre ses mains ! Il est tout-puissant, non comme homme car il reste homme, mais lorsqu’il reçoit comme aujourd’hui le caractère sacerdotal qui est une véritable participation au sacerdoce de Jésus-Christ.
Il n’y a qu’un prêtre dans la vraie religion, seulement un : Jésus-Christ lui-même. Mais Jésus-Christ se multiple par les prêtres. En tant qu’instruments, ces prêtres permettront que le Souverain Prêtre se multiplie dans le temps et l’espace. C’est comme avec la sainte Hostie ; certes la présence est différente, mais la multiplication est la même. C’est le même Christ que vous, bien chers fidèles, retrouvez au confessionnal. Vous recevez la sainte Communion des mains de Jésus. Les paroles de la consécration « Ceci est mon corps » n’appartiennent pas au prêtre que vous voyez. Certes le prêtre dit en pleine conscience, de toute son intelligence et de toute sa volonté : « mon », ceci est « mon » corps – et il sait exactement qu’en prononçant ces mots, il ne s’agit pas de son corps. Pourtant il ose dire « mon », parce qu’à cet instant ce « mon » appartient au Christ, plus qu’au prêtre ; il appartient directement au Christ. Le prêtre en est seulement l’instrument.
Que passe-t-il par le moyen de cet instrument ? Regardons une plume. L’écrivain prend la plume dans sa main et écrit avec elle sur une feuille de papier. Curieusement quelque chose de l’écrivain lui-même passe sur le papier. C’est tellement vrai qu’il existe une science, la graphologie, qui étudie l’écriture sur le papier et arrive à en tirer des informations sur la personnalité de l’écrivain. En fait, quelque chose de l’acteur principal, c’est-à-dire de l’écrivain, est passé par la plume sur le papier. Cela on peut aussi l’appliquer à la consécration, comme à chaque sacrement et à chaque sermon, à différents niveaux. Oui, Notre Seigneur agit par le prêtre. A la consécration, la toute-puissance de Dieu passe par le prêtre, cette puissance infinie de Dieu, capable de créer ; et ici elle fait encore plus que créer ! Aucun homme ne peut réaliser la consécration, seulement Dieu !
Certes l’administration de la grâce sanctifiante, la participation à la vie divine ne peut être réalisée que par Dieu seul. Mais Dieu est tellement puissant qu’il daigne utiliser des instruments, et son instrument principal est le prêtre. Cela exige de vous, chers ordinands, que vous croyiez à votre sacerdoce, et que vous en viviez. Ce rapprochement, mieux cette ressemblance à Jésus ne doit pas seulement s’accomplir dans les sacrements, mais bien dans toutes vos actions. Vous n’êtes pas seulement prêtre pendant vos actions sacramentelles, vous êtes prêtres pour l’éternité. Cela veut dire que Jésus veut utiliser chacun de vos actes pour apporter le salut aux âmes.
Marie porte Jésus aux autres
Aujourd’hui nous avons la joie de célébrer la fête de la Visitation, et nous y voyons un parallèle entre la grâce sacramentelle et cette visite de Marie où elle apporte Notre Seigneur à sa cousine Elisabeth, tout secrètement. Elle porte Jésus, comme vous le portez. Elle l’apporte secrètement, on ne le voit pas. Tel est l’effet de la grâce des sacrements : on ne les voit pas, mais ils sont incroyablement efficaces. Le Bon Dieu a utilisé Marie comme son instrument ; il est venu chez nous, chez les hommes, par Marie. Après l’Incarnation, la Mère de Dieu n’attend pas ; tout de suite elle devient active. On pourrait dire que Jésus la pousse à cette efficacité apostolique. A l’instant, en toute hâte, elle part pour apporter le Christ aux autres, au Précurseur – saint Jean-Baptiste – et à sa cousine Elisabeth. Vous, une fois devenus prêtres, vous ne vous attarderez pas. Cette messe, la messe de maintenant, la messe des ordinations est déjà votre première messe. L’Eglise ne veut pas attendre ; tout de suite vous devez apporter le Seigneur aux hommes. Faites-le avec la Sainte Vierge, suivez l’exemple du Seigneur lui-même : il agit par Marie, Médiatrice de toutes les grâces. Restez avec Marie. Je dirais à l’exemple de Jésus : restez en Marie, et vous travaillerez de la manière la plus efficace.
J’aimerais terminer ce sermon, bien chers fidèles, en vous rappelant le centenaire des apparitions de Fatima que nous célébrerons dans un an. Nous voulons préparer cet événement dignement avec une nouvelle Croisade du Rosaire. Mais cette fois, nous souhaitons l’enrichir un peu plus. Nous ne voulons pas seulement offrir à la Sainte Vierge des chapelets, des bouquets de roses spirituelles, mais aussi nos œuvres de pénitence. Nous visons – et cela ne devrait pas causer des difficultés – 50 millions d’actes posés comme sacrifices. Bien que nous attendions avec confiance plus de 12 millions de chapelets, nous ne nous limitons pas aux œuvres extérieures, mes bien chers frères ; nous entreprenons cette croisade en faisant nôtres les intentions de la Mère de Dieu. Marie a donné le sens de ces apparitions, en disant que son Fils veut introduire la dévotion à son Cœur Immaculé dans le monde. C’est le but, le sens de l’histoire de Fatima jusqu’à aujourd’hui : introduire la dévotion au Cœur Immaculé dans le monde. Et la très Sainte Vierge ajoute : celui qui exerce cette dévotion sera sauvé. Vous avez bien entendu : celui-là sera sauvé ! C’est la promesse de la Sainte Vierge ! Elle est plus vaste et plus claire que celle sur les cinq premiers samedis. Pourquoi la hiérarchie ecclésiastique ne suit-elle pas ces indications ? Notre première demande au Ciel est la réalisation de la dévotion au Cœur Immaculé : qu’elle soit propagée et vécue réellement dans toute l’Eglise, dans tout l’univers ! La seconde demande concerne le triomphe de Marie ; et la troisième vise la consécration de la Russie par le Souverain Pontife, comme la Sainte Vierge l’a demandée. Et finalement, une quatrième demande : nous implorons la protection du Cœur Immaculé de Marie sur nous, sur la Fraternité Saint-Pie X et toutes ses œuvres, sur vous, chers fidèles, sur les prêtres et évêques, sur toute la famille de la Tradition. Oui, nous mettons toute notre confiance en Marie, Mère de Dieu. Elle est le remède pour ces temps difficiles, et nous lui recommandons votre sacerdoce, chers ordinands. Ainsi soit-il.
Pour conserver à ce sermon son caractère propre, le style oral a été maintenu.
(Source : FSSPX/MG – Traduit de l’allemand ; titre et intertitres de DICI du 11/07/16)
[1] Quicumque vult salvus esse, ante omnia opus est ut teneat catholicam fidem : Quam nisi quisque integram inviolatamque servaverit, absque dubio in aeternum peribit. – Quiconque veut être sauvé doit, avant tout, tenir la foi catholique : s’il ne la garde pas entière et pure, il périra sans aucun doute pour l’éternité. (Début du Symbole de saint Athanase)
[2] Concile de Trente, session 22 sur le sacrifice de la Messe : « Notre Dieu et Seigneur voulut laisser à l’Eglise, son épouse bien-aimée, un sacrifice qui soit visible (comme l’exige la nature humaine). Par là serait représenté le sacrifice sanglant qui devait s’accomplir une fois pour toutes sur la croix, le souvenir en demeurerait jusqu’à la fin du monde, et sa vertu salutaire serait appliquée à la rémission de ces péchés que nous commettons chaque jour. » Dz 1740.