Papabili : ceux qui y croient et ceux qui s’y croient (2)
Dans un article paru le 27 avril 2024 sur le site britannique UnHerd, Damian Thompson revient longuement sur le sujet qui occupe toutes les conversations entre cardinaux actuellement : « qui sont les papabili sérieux pour le prochain conclave ? » Le premier article a examiné l’influence des conséquences de Fiducia supplicans sur les votes cardinalices.
Quel sera le rôle des conservateurs et des modérés ?
Est-ce à dire que les conservateurs pourraient jouer un rôle lors du prochain conclave ? Damian Thompson se montre prudent : « Quant aux papabili conservateurs purs et durs, il n’y en a pas vraiment ; François s’en est au moins assuré. Mais il existe une possibilité de conservateur modéré : le cardinal Péter Erdő, primat de Hongrie. Contrairement à l’exubérant et larmoyant Tagle, c’est un érudit réservé sur le plan émotionnel. […]
« Il a la réputation de ne pas aimer les feux de la rampe et d’être un peu susceptible – mais lors du synode sur la famille en 2015, malgré les pressions exercées par les apparatchiks papaux, il a utilisé sa position de rapporteur général pour défendre de manière magistrale l’enseignement traditionnel. Un observateur du Vatican le décrit comme “ennuyeusement conservateur, ce qui pourrait être exactement ce dont nous avons besoin en ce moment”. »
La vaticaniste du Messaggero Franca Giansoldati partage cet avis. Dans un article du 6 mai, rapportant un entretien du cardinal Erdő dans la revue Cardinalis-Magazine du 2 mai, elle écrit : « Le premier sujet abordé par Mgr Erdő a été le phénomène de la déchristianisation, qui mine de manière dramatique la présence de l’Eglise en Occident depuis des décennies. Comme antidote, Erdő souhaiterait un renforcement des mouvements et de la centralité de la foi.
« Il déclare : “S’il s’agissait d’une période de crise, de nombreuses tendances disparaîtraient rapidement, mais il semble que nous soyons confrontés à une crise à long terme. La crise est toujours synonyme de danger, mais aussi d’opportunité. Mais il est important que notre identité chrétienne catholique reste enracinée dans les choses les plus essentielles, à savoir le fait que le Christ est ressuscité, que nous croyons en Dieu, en la Trinité et en la vie éternelle.” »
Franca Giansoldati poursuit son résumé de l’entretien : « En ce qui concerne le risque de schisme en Allemagne causé par les poussées ultra-progressistes d’une grande partie de l’épiscopat, Erdő est prudent. Il affirme : “Comme beaucoup d’autres, je constate – y compris lors des derniers synodes – qu’une sorte d’‘alternative’ est en train d’émerger dans l’Eglise.
« Certains pensent que le christianisme est presque une religion naturelle, que sur la base de la bonne volonté et de l’ouverture intellectuelle, il peut suivre les besoins des gens dans la société d’aujourd’hui et chercher des solutions qui semblent raisonnables, et si elles ont un lien avec la Bible, c’est encore mieux.
« Mais il s’agit là d’inventer des solutions et des réponses avec une logique humaine”. Puis il répète : “Nous sommes plutôt des disciples du Christ. (…) La voix de Jésus, le fondement de l’Eucharistie, le Notre Père et d’autres choses qui ont été conservées sont précisément le contenu de son enseignement. Nous avons un trésor et nous ne sommes pas condamnés à affronter les problèmes de notre temps les mains vides…” »
De son côté, dans UnHerd, Damian Thompson cite avec circonspection d’autres noms : « Qu’en est-il des cardinaux modérés qui sont difficiles à classer ? Le dernier papabile en date est Pierbattista Pizzaballa, le patriarche latin de Jérusalem, né en Italie. Ces derniers mois, les horreurs qui se sont déroulées à sa porte, ont révélé un diplomate d’une rare habileté.
« Sa condamnation des attaques des forces de défense israéliennes contre les civils à Gaza lui a valu une réprimande du ministre israélien des Affaires étrangères – mais il avait auparavant condamné le Hamas pour sa “barbarie” et s’était proposé comme otage à la place d’enfants israéliens. Et s’il n’est pas difficile de le croire lorsqu’il affirme qu’il ne souhaite absolument pas devenir pape, il est possible qu’il soit contraint d’y réfléchir à deux fois. »
Puis il évoque les cardinaux asiatiques : « Trois noms reviennent sans cesse : William Goh de Singapour, orthodoxe en matière de sexualité, discrètement critique de la capitulation devant Pékin ; Charles Maung Bo du Myanmar, également critique de l’accord avec la Chine ; et You Heung-Sik, le nouveau préfet du Dicastère pour le clergé de Corée du Sud. »
Enfin il conclut, sans indulgence, son tour d’horizon avec le cardinal secrétaire d’Etat Pietro Parolin : « Cet Italien de 69 ans est visiblement à la manœuvre, et sa candidature est prise au sérieux. […] Il a été l’architecte de l’accord conclu par le Vatican avec Pékin en 2018, qui – comme l’avait prévenu l’ancien évêque de Hong Kong, le cardinal Joseph Zen – transformerait l’Eglise catholique chinoise, y compris les croyants clandestins persécutés, en une filiale à 100 % du Parti communiste.
« C’est précisément ce qui s’est passé. Le cardinal Zen, aujourd’hui âgé de 92 ans et considéré par de nombreux catholiques orthodoxes comme un saint vivant, a tenu des propos extraordinaires à l’égard de Parolin : “Il est tellement optimiste. C’est dangereux. J’ai dit au pape qu’il [Parolin] avait l’esprit empoisonné. Il est très gentil, mais je n’ai aucune confiance en lui. Il croit en la diplomatie, pas en notre foi”. Une source vaticane qui a travaillé avec Parolin se fait l’écho de cette opinion : “Il est gentil avec tout le monde, mais creux au milieu”. »
La fumée blanche sera-t-elle dissipée par les réseaux sociaux ?
Au fond, rien n’est certain et Damian Thompson rappelle : « tout observateur du Vatican vous dira que de nouveaux papabili apparaissent dans le ciel au cours des derniers jours d’un pontificat ». Certes, « on peut facilement imaginer des cardinaux légèrement libéraux voter pour un candidat légèrement conservateur qui pourrait s’attaquer aux dommages structurels des 11 dernières années. “François a laissé le droit canonique avec tellement de trous qu’il ressemble à la surface de Mars”, déclare un prêtre qui a travaillé à la Curie. »
On peut également considérer que « lors de leurs conversations pré-conclave, la plupart des cardinaux conviendront que le prochain pape doit être quelqu’un capable de superviser un travail de réparation d’urgence qui clarifie la doctrine, l’étendue de l’autorité ecclésiastique et mette fin au jihad contre les catholiques traditionalistes, dont beaucoup sont plus jeunes d’une génération ou deux que les baby-boomers qui les harcèlent en utilisant leur jargon ».
Mais le journaliste britannique rappelle que « les cardinaux savent qu’ils doivent fouiller dans le passé des principaux candidats. Ils n’ont pas le choix. Le prochain pape fera l’objet d’un examen minutieux, instantané et impitoyable de la part des enquêteurs en ligne. Un article publié en 2021 dans The Tablet par l’historien de l’Eglise Alberto Melloni décrit une catastrophe bien trop crédible :
« “Le pape nouvellement élu sort. Alors qu’il sourit et se présente humblement à la foule sur la place, un message isolé sur les réseaux sociaux avance une allégation stupéfiante : le nouveau pape, lorsqu’il était évêque, n’a pas agi contre un prêtre qui a ensuite commis d’autres crimes. Sur la Place Saint-Pierre et dans les salles de presse, les yeux tombent du balcon sur les smartphones… Le pape rentre à l’intérieur et démissionne. Le siège est à nouveau vacant. »
Et Damian Thompson de déplorer l’élection de 2013 : « La vérité est que de nombreux catholiques argentins de tout le spectre idéologique connaissaient les défauts de caractère de François : son secret compulsif, ses règlements de compte, ses alliances troublantes et son règne par la peur. »
D’où ce souhait : « Lorsque le nouveau souverain pontife montera au balcon, il y aura un moment d’inquiétude pendant que les fidèles consulteront leur téléphone portable. Mais si les cardinaux ont fait leur travail correctement, les applaudissements reprendront rapidement. Et si vous écoutez attentivement, vous entendrez un autre bruit provenant de tous les bureaux du Vatican : un soupir de soulagement que le jeu [cauchemardesque] soit enfin terminé. »
(Sources : UnHerd/Il Messaggero – Trad. à partir de Belgicatho/DICI n°444 – FSSPX.Actualités)
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