Mgr Marcel Lefebvre à la découverte de sa vocation

La vocation, on l’a souvent sans le savoir, et un beau jour on la découvre, ou elle se découvre.
Christiane, la petite sœur, qui a de l’intuition, a une petite idée de ce que fera son frère Marcel après sa classe de philosophie.
Elle ne le voit pas notaire comme le bisaïeul Théry, ni marchand de tapis comme l’oncle Lorthiois, ni aviateur comme le cousin Watine ; alors, peut-être bien prêtre ?
Pour sa part, Marcel avoue hésiter :
– Aspirer au sacerdoce ? Comment peut-on penser devenir prêtre ? C’est si élevé ! Participer au sacerdoce de Notre-Seigneur Jésus-Christ ! Avec la responsabilité du salut éternel des âmes…
– Puisque tu hésites, lui dit Christiane, va donc faire une retraite ! A Wisques, les pères bénédictins accueillent des hôtes et les dirigent spirituellement.
Marcel pourrait lui répondre :
– Laisse-moi donc ! De quoi te mêles-tu, ma petiote ? Je suis bien assez grand pour savoir ce que je dois faire !
Mais Marcel est humble ; il se souvient de la fable de La Fontaine, Le lion et le rat : « On a souvent besoin d’un plus petit que soi ! » Il répond à sa sœur :
– Bonne idée, je vais en parler à papa !
Heureux de l’approbation de son père qui a lui-même suivi jadis retraite à Wisques, Marcel arrive bientôt en vélo au grand portail de l’enceinte de l’abbaye, qui porte inscrite la belle devise – Ora et labora – que Marcel traduit tout de suite : prie et travaille ! Au bout de trois jours où il s’est essayé à chanter l’office divin en latin avec les moines, malgré ses couacs, et à manger avec eux modérément au réfectoire malgré sa faim, il déclare au père hôtelier :
– J’aime bien votre vie, mais… je voudrais faire de l’apostolat !
– Alors, répond le Père, votre place n’est pas ici, notre apostolat est surtout celui de la prière, nous sommes cloîtrés dans le monastère.
A la maison, une avalanche de questions l’assaille :
– Qu’a dit le père hôtelier ?
– Il a dit que je ne serai pas bénédictin !
« Mais, réfléchit-il, peut-être cistercien ? Simple frère lai. J’admire tant ces Frères, dans leur bure blanche au scapulaire noir, le visage bruni et ridé par le labeur, le sourire aux lèvres, travaillant dur aux champs ou bien à leur industrie de pâtes de fruits, et priant comme des anges ! »
– Papa, dit-il à René Lefebvre, si j’allais à Poperingue ? Visiter oncle Alban qui y est familier, et parler au père Alphonse qui, dit-on, a le don de lire dans les cœurs ?
Et voilà Marcel enfourchant son vélo, passant la frontière de Mouscron et arrivant bientôt à Saint-Sixte.
– Asseyez-vous, jeune homme, lui dit le frère portier, j’appelle le Père.
De lourds pas ébranlent l’escalier, derrière la porterie la porte s’ouvre, le vieux Père, blanchi par l’âge et par ses vingt années de missionnaire au Congo belge, fixe Marcel et, sans poser de question :
– Vous, dit-il, vous devez être prêtre, vous serez prêtre !
Est-ce un charisme ou le don de conseil ? Pour sa part, Marcel est en paix, heureux comme d’une découverte, c’est comme une lumière nouvelle projetée sur toute sa jeunesse :
– C’est bien cela, se dit-il, je serai prêtre ; au fond, je n’ai jamais rien voulu faire d’autre ! Me donner aux âmes ! Il n’y a plus à tergiverser.
Mgr Bernard Tissier de Mallerais (Fideliter n°257 )