Lettre circulaire aux fidèles de Suisse

Source: District de Suisse

Mot du Supérieur de District

Extrait du Rocher No 101

Lettre circulaire aux fidèles de Suisse - Juin/Juillet 2016

Bien chers fidèles,

Ce n’est pas avec peu d’intérêt que j’ai reçu le n° 13 de la revue d’histoire suisse Passé Simple[1], car elle nous a transportés dans plusieurs époques et plusieurs régions bien éloignées et pourtant bien proches pour les raisons que j’aimerais vous narrer dans ce petit mot.

C’est l’histoire d’un Jésuite valaisan nommé Maurice Gailland, né à Verbier en 1815 dans une Europe renaissante. Il fait son noviciat à Brigue, puis il poursuivra ses études à Fribourg où il sera ordonné prêtre en 1846. Mais l’époque est chaude pour la Compagnie en Suisse. Les radicaux frémissent d’indignation devant cet Ordre ; ayant bien décelé la puissance de conversion des fils de saint Ignace, ces grands libéraux ne peuvent même pas les tolérer. Ne reculant devant aucune calomnie pour les faire chasser, ils arriveront à leur fin dans la guerre du Sonderbund. Après avoir réalisé de magnifiques projets d’évangélisation, les jésuites seront chassés de notre pays. On se souvient de l’article 58 de la Constitution de 1848 qui l’écrivait noir sur blanc : « L’Ordre des Jésuites et les sociétés qui lui sont affiliées ne peuvent être reçus dans aucune partie de la Suisse. »

Mais Dieu voit tellement plus loin que nos petits hommes ! En 1848, avec un groupe de six autres confrères, le Père Gailland embarque sur le Tennessee, vaisseau américain, pour aller évangéliser les indiens Potawatomis en plein cœur des États-Unis. Il suit le chemin des colons conduisant dans l’Ouest, traverse Kansas City, puis Topeka et arrive à sa nouvelle mission. Elle s’appelle Sainte-Marie ! C’est le St Mary’s College qui est fondé et qui, après une belle histoire et bien des péripéties, sera acheté en 1978 par la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X ! C’est même la plus grande œuvre de notre Tradition sur le continent américain. Le lien est magnifique et démontre à souhait combien la persécution comme le vent transporte les chrétiens dans une nouvelle terre, là où le bon Dieu a prévu un ensemencement.

Dans le cimetière du collège on peut voir encore les tombes de l’époque avec les noms en latin de la provenance des pères et des frères : Belca, Helvetus, Gallus, Germanus, Italus, Hibernus, Anglus. Les temps étaient rudes : choléra, sécheresse, guerre civile ; mais le Père Gailland apporte son secours et son soutien à ses pauvres Indiens : « Mon Dieu, épargne mes Indiens de ces jours pénibles que je vois venir, ils seront jetés hors de leurs demeures et traités comme des chiens ne méritant pas de vivre au milieu des Blancs et ils seront chassés de leur réserve. »[2]

Ce que ces missionnaires apportaient jusqu’aux confins du monde, c’est la foi et les sacrements. Mais aussi un développement qui provenait d’abord des études, et là on connaît l’efficacité des Jésuites. La technique aussi était au rendez-vous : St Mary’s était devenu une immense ferme modèle avec des écuries du dernier cri pour l’époque ! Cette belle armée de prêtres pouvait répondre à toutes les attentes, leur capacité à civiliser demeura longtemps hors pair ! Il est possible que les Jésuites continuent cette efficacité technique, mais pour ce qui est de l’évangélisation c’est bien terminé. La plupart sont modernistes jusqu’au fond des yeux. Même celui qui est habillé de blanc à Rome a réussi l’impossible : rendre admissible certains concubinages. La célèbre revue jésuite La Civiltà cattolica n’hésite pas à écrire : Une évolution de la doctrine de l’Église est non seulement possible, mais elle est nécessaire pour répondre aux défis pastoraux. On peut se demander ce qu’ils font du iota de l’évangile, qui condamne celui qui aura enfreint le moindre de ces commandements[3] ! Tous les Jésuites depuis la naissance de l’Ordre jusqu’au concile Vatican II se seraient élevés avec véhémence (et Dieu sait combien ils en étaient capables) contre de telles erreurs.

Ainsi, nous sommes devenus ces nouveaux Indiens à mettre en réserve avec le rôle de garder certaines vieillottes traditions, et on se demande toujours pour combien de temps… car il arrivera bien un moment où la liberté pour la Tradition sera freinée ou même bloquée ! Mais non, s’il faut quitter le pays et aller en terre lointaine pour garder notre foi, eh bien partons ! Dieu en tirera un plus grand bien. N’ayez crainte, je ne participe aucunement au don de prophétie, mais il semble quand même que l’étau se referme sur l’Europe. Comme ces sangles à cliquet qu’on utilise pour arrimer, au début elles ne serrent pas du tout, puis on ressent chaque cran et l’objet est finalement immobilisé. Chaque loi anti-chrétienne est un cran, chaque démission de nos gouvernements est un cran, chaque abandon de la doctrine par les chefs de l’Église est un cran. Et l’on sent bien que cela va assez vite, l’oppression de se sentir trahi devient toujours plus forte, la réalité que nous laisserons à nos enfants évidente !

Un seul peut transformer cela en lumière, c’est notre Dieu juste et fort, qui permettra même les pires excès, mais seulement pour en tirer un bien d’autant plus grand. Là est notre espérance, et pendant ce temps il nous faut chacun continuer à suivre sa Providence en remplissant de notre côté notre devoir d’état. Que notre Mère nous soutienne tous !

Abbé Henry Wuilloud


[1] « Mensuel romand d’histoire et d’archéologie ». Il s’agit de raconter de manière accessible le passé des régions qui forment la Suisse romande, sans négliger le reste de la Suisse et les régions limitrophes des pays voisins.

[2] La page d’histoire de l’Église de ce numéro du Rocher raconte plus en détail la vie très intéressante du Père Gailland.

[3] Mat. 5/18.