Journal de route du District de Suisse
Extrait du Rocher 101
7 mars 2016
Un confrère d’Allemagne vient pour nous présenter un thème intéressant. En effet, chargé de la direction de Weihungszell, il a dû se former à la gestion d’entreprise. Tout le monde ne le sait pas mais Weihungszell est une maison de retraite avec environ 80 lits. Et c’est complexe, avec le fouillis de règlements, le nombreux personnel nécessitant certaines qualifications… et on n’apprend pas cela au séminaire !
Alors il nous a fait un parallèle entre le management et le sacerdoce et… ce n’est pas si éloigné l’un de l’autre sauf leur fin propre ! Efficacité et ordre, gestion du temps et préparation, prévoir et organiser, etc. C’est intéressant car nous avions déjà souvent entendu ce rapport, spécialement dans les Exercices de Saint Ignace : le Père Marziac aimait à nous dire que des spécialistes en business avaient simplement traduit le règlement de vie chrétien pour rendre les managers plus efficaces. Encore une fois, c’est la fin qui diffère !
19 mars 2016
Je ne veux pas vous lasser, mais comme ces derniers temps le chantier avance, il faut assez souvent passer le Gothard pour aller constater les travaux à San Damiano. D’ici fin juin, l’église arrivera à son terme, alors certains me demandent déjà quand aura lieu l’inauguration ! Pas tout de suite, car nous aimerions achever le tout avant d’inviter le plus grand monde dans ce lieu de bénédictions. Mais bien entendu nous vous tiendrons au courant. Nous avons trouvé un sculpteur pour nous faire une belle statue de la Vierge en marbre. Car le principe reste qu’il ne serait pas très logique d’investir autant pour faire un autel de pacotille ; surtout que dans de tels lieux le mauvais goût foisonne et il me semble qu’il nous revient également d’enseigner le beau : « que mon peuple prie sur du beau » comme disait saint Pie X.
23 au 27 mars 2016
Fin mars le temps est au gris et ne laisse guère quelques bribes au printemps pour s’installer. Alors vous pensez, il m’est bien aise de filer vers le sud : à Brignoles chez les sœurs dominicaines de Saint-Pré. L’accueil est tout d’abord suisse-allemand ! car plusieurs élèves y sont inscrites. 130 élèves environ et pas loin d’une quarantaine de sœurs dont une partie en formation. C’est une très belle œuvre qui ne cesse d’attirer des vocations et d’ailleurs la grande construction adjacente le démontre, il y a besoin de place. Les familles sont conscientes que c’est une école stable (dans le sens qu’elle restera pour des décennies), aussi beaucoup sont venues s’installer dans la région. Et donc il y a toujours moins d’internes. Il est intéressant de constater de telles évolutions, c’est un éternel modelage qui ne cesse de changer. Ainsi va la vie !
Mais pour la petite retraite de Semaine Sainte, toutes sont redevenues internes. D’ailleurs c’est très encourageant pour le prédicateur, la chapelle actuelle est toute pleine pour chaque instruction et sur chaque banc les élèves restent bien serrées. Puis les confessions, par leur nombre, durent un peu plus que chez nous. Par exemple le Jeudi-Saint, heureusement qu’à minuit cela se termine, sinon on aurait fini au petit matin.
Seul regret, plus personne ne parle avec l’accent de la belle Provence… est-ce qu’elles sont trop bien éduquées ? Alors prenant la voiture, je suis allé écouter les autochtones. C’est ravissant, et cela va tellement bien avec le cadre.
28 mars au 1er avril 2016
Semaine de retraite en compagnie de Mgr Lefebvre qui a la gentillesse de me prêcher une retraite sacerdotale… comme quoi on ne peut pas toujours critiquer la technique ! Sa bonne voix chaleureuse et son zèle missionnaire parlent des magnificences du Bon Dieu mais sans abandonner la réalité. Comme la Trinité se simplifie lorsqu’on l’écoute, on sent l’habitué des cimes spirituelles qui sait redonner plus loin ce qu’il a goûté. C’est magnifique et apaisant, et la nature aux alentours participe de cette prédication. Oui, Dieu est partout.
Cela se passe au milieu d’un massif alpin au sud des Ecrins pour les connaisseurs : à quelques kilomètres de Notre-Dame du Laus pour les pieux, c’est la maison de Montgardin qui accueille les prêtres : certains retirés, d’autres en repos ou comme moi de passage. La forêt nous entoure mais les montagnes aussi, rares sont les balades où l’on ne croise pas de gibier. Il m’est arrivé ainsi de croiser des sangliers, des chamois, des chevreuils, et même un lièvre. Voilà des distractions du Bon Dieu comme on les aime !
Après cette longue et bénéfique absence, il ne reste plus qu’une seule crainte… de quelles hauteurs est la pile de courrier ! Mais comme c’est le temps pascal, tout est alléluia !
3 avril 2016
Les vocations féminines sont trop rares. Le chant de l’Epoux céleste n’est plus entendu, et celles qui auraient la grâce et l’honneur d’être appelées à ses épousailles vont s’échiner à poursuivre un bonheur impossible. Et pourtant, ce bonheur nous est à tous nécessaire ; car notre époque nécessite de nouvelles âmes qui s’adonnent ici-bas à la seule poursuite de la sainteté. Les Pères du désert ont vaincu le paganisme de l’Empire romain, non pas qu’ils fussent les seuls, mais ils étaient comme le foyer qui réchauffait ceux qui étaient sur le front du combat. Un couvent, un monastère, sont comme ces chauffages à distance qui permettent par un réseau de conduites de chauffer tout un quartier, tout un village. Dans la vie spirituelle, le réseau est assuré par les anges, pas de problème de ce côté-là. Mais le foyer central a de la peine à assurer une combustion suffisante pour réchauffer dans ce froid polaire qui traverse notre fin de civilisation.
A Ruffec, en ce dimanche de Quasimodo, il y a certes pas mal de voiles dans la nef de la collégiale, mais guère de postulantes, guère de novices ! Petit passage à vide, nous l’espérons ! Oui, que de nouvelles cohortes de jeunes filles puissent comprendre que le rôle qu’elles ont à jouer les dépasse infiniment : « Tu es une fontaine de jardins, un puits d’eaux vives qui coulent avec impétuosité du Liban. » Cette eau magnifique qui manque tellement à notre monde si sec et si stérile. Mais voilà, pour cela il y a d’abord une réponse à donner à l’Epoux qui les appelle de sa douce voix :« Lève-toi, mon amie, ma colombe, ma toute belle, et viens. »
4 avril 2016
Il y a des paysages mais aussi des personnages qui peuvent créer comme une sorte de mélancolie. Traverser la France avec ces longues routes longilignes, quand de plus la pluie nous accompagne, il ne faut guère plus pour faire revenir à la mémoire ces quelques vers de Verlaine :
Il pleure dans mon cœur
Comme il pleut sur la ville ;
Quelle est cette langueur
Qui pénètre mon cœur ?
Ô bruit doux de la pluie
Par terre et sur les toits !
Pour un cœur qui s’ennuie,
Ô le chant de la pluie !
Il pleure sans raison
Dans ce cœur qui s’écœure.
Quoi ! nulle trahison ?...
Ce deuil est sans raison.
C’est bien la pire peine
De ne savoir pourquoi
Sans amour et sans haine
Mon cœur a tant de peine !
10 avril 2016
Terrible mois d’avril qui passe du bleu au gris et qui revient bientôt noyé de soleil. Pour ce jour où le bon Dieu se donne pour la première fois à quelques âmes juvéniles, le beau est de mise. D’ailleurs, les enfants eux-mêmes comme des jeunes mariés s’avancent vers l’autel pour recevoir Celui qui veut vivre un profond amour avec eux. C’est le don terrible du Seigneur qui veut être mangé et qui veut que nous en prenions exemple ! Lui a osé et nous ! Après de telles questions, il pourrait se passer ce qu’a vu Notre-Seigneur lorsqu’Il a proposé à ceux qui n’avaient pas péché de lancer la première pierre. Ils partirent tous, et les anciens en premier ! Nous avons tellement reçu, et nous avons tellement peu rendu ! Comme on souhaite ce miracle d’union intime dans les âmes de ces enfants.
11 au 14 avril 2016
Paisible visite canonique au prieuré de Wil. C’est presque embêtant ! du moins pour remplir cette chronique ! Rien de bien croustillant pour délivrer un message moral. Tout fonctionne, chacun est bien à sa place… même les enfants font les bêtises habituelles mais pas plus ! Alors après avoir cherché quoi vous raconter, je passe !
17 avril 2016
On a doublé le pèlerinage pour les vocations. Le premier à Rheinau, où grâce à la bienveillance de l’évêque, l’église nous est gracieusement prêtée pour l’occasion. C’est l’abbé Schreiber qui va officier, et pour la messe solennelle il pourra revêtir un des trésors de la sacristie du monastère, la chasuble confectionnée avec la robe de mariage de Marie-Antoinette d’Autriche. Puis les fidèles accompagnés de beaucoup de prêtres et de religieuses vont se rendre jusqu’à un autre monastère en amont sur le Rhin : St Katharinental.
Le deuxième pèlerinage n’a pas tant de soutanes ou de voiles, il est vrai que le temps menace un peu ! Mais heureusement qu’un bon groupe de fidèles s’engage à marcher d’Ecône à Saint-Maurice. Le Rhône nous donne la direction et presque le rythme, tellement la vallée est dévalée à grands élans d’Ave. Nous avons droit cette année à un bonus, puisqu’une pause non loin de Vérolliez nous est proposée pour narrer l’histoire du lieu et celle de la vénérable Légion. On espère que tout l’enthousiasme du conteur allié à la ferveur des marcheurs puisse susciter l’ardeur de notre jeunesse pour répondre à la volonté de Dieu.
18 et 19 avril 2016
Luther sera fêté durant la prochaine année, célébré aussi par des catholiques, et ce alors qu’il est historiquement prouvé que ce moine est un débauché de la pire espèce qui a perdu des millions d’âmes. On est tellement abreuvé d’insanités et de sordidités par notre monde, qu’un Luther élevé au pinacle ne scandalise plus. Pour éviter ce manque de réaction, nous avons voulu nous replonger dans sa vie et observer les conséquences encore bien actuelles de son apostasie. Ce furent les thèmes des deux réunions de prêtres qui se sont déroulées à Enney et à Oberriet sur deux jours.
Luther est dégoûtant, et à peine l’approche-t-on dans ses textes, qu’on en devient rapidement écœuré. Deux petits exemples. Le premier sur les femmes : ce sot animal. Les œuvres de Dieu nous disent avec évidence que les femmes doivent d’abord servir au mariage ou à la prostitution[1].
Ou sur les moines : Tout ce qu’ils peuvent nous montrer de leur sacerdoce, c’est une tonsure, une onction, une soutane : il n’est pas plus difficile de raser un porc ou une bûche, de les oindre d’huile et de les revêtir d’un froc[2].
Quasi transcendant, n’est-ce pas ? Pour qu’un tel hurluberlu puisse avoir un tel succès, il est manifeste que certaines personnes, certains puissants de ce monde, ont su le mettre à l’abri et bien vendre ce nouveau produit ! Avec ses haines, ses appels au meurtre des paysans, ses astuces, ses gloutonneries, il sait maudire avec acharnement. « Je ne puis plus prier sans maudire. Si je dis : que ton nom soit sanctifié !, il faut que je dise : Maudit soit le nom des papistes et de tous les blasphémateurs. Si je dis : Que ton règne arrive !, il faut que je dise : maudite soit la papauté ! Si je dis : Que ta volonté soit faite !, je dis aussi : Maudits soient les projets des papistes ! C’est ainsi que je prie ardemment chaque jour »[3].
Le pape Benoît XVI est allemand et cultivé, donc il se devait de connaître le moine défroqué du couvent d’Erfurt… alors comment a-t-il osé affirmer cette énormité : « La pensée de Luther, sa spiritualité tout entière était complètement christocentrique »[4] ? Pour répondre, on aimerait mettre ici ce que pensait le Martin en question sur la papauté. Le Rocher est d’une telle tenue, que le propos scabreux n’y a pas sa place, mais je puis vous affirmer que cela vole très bas. Luther avait même fait dessiner par le célèbre Cranach quelques gravures outrancières sur le pape, l’alliant avec un porc ou avec un âne ! On ose se demander ce que fera le pape actuel, si même son prédécesseur a dérapé de manière aussi évidente ! Mais on sait déjà combien les évêques locaux craindront d’être en reste dans la participation à la louange. Aux bien-pensants, il serait bien que notre Tradition réponde par la vérité historique. Les protestants n’ont eux-mêmes pour la plupart aucune connaissance du sujet ou vivent dans le déni de la biographie réelle. 1517-2017, un demi-millénaire de succès pour ce dépravé, il est temps que la page se tourne !
26 avril 2016
Cette fois, c’est officiel. La nomination pour Johannesburg m’est arrivée. Donc de la petite Suisse à la grande Afrique. La Fraternité est généreuse de telles perspectives et après tant d’autres, c’est mon tour. Bien chers fidèles, permettez-moi de mendier quelques prières, surtout pour apprendre l’anglais ! Le reste, on verra bien plus tard.
H.W
[1] Ivan Gobry, Luther, p. 302 : Sur les femmes.
[2] Id. p. 214 : Sur le clergé.
[3] Id. p. 358 : Contre le Meurtrier de Dresde.
[4] Le 23 septembre 2011, dans l’ex-couvent augustinien d’Erfurt.