Le développement du district d'Europe de l'Est de la Fraternité

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10 Mars, 2022
Ecole de Varsovie - Nouveaux bâtiments

Extrait d'un entretien avec l'abbé Karl Stehlin

Le 28 décembre 2021, le magazine américain Catholic Family News a publié une interview vidéo de l'abbé Karl Stehlin sur le développement du district d'Europe de l'Est de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X. L'interview a été réalisée par le rédacteur en chef Brian McCall.

Avec l'autorisation de l'abbé Stehlin, nous pouvons reproduire ici la traduction française d'une partie de l'entretien d'une heure en allemand, qui donne un bel aperçu de l’apostolat de la Fraternité en Pologne.

Brian McCall : J'espère que vous avez passé un bon Noël.

Abbé Stehlin : Nous avons eu un très beau Noël. Ici, au prieuré de Varsovie, nous avons eu 1500 fidèles lors de cinq messes. Les prêtres avaient auparavant écouté les confessions des fidèles des heures durant, jusque tard dans la nuit. Nous autres, prêtres, nous avions donc quand même un peu de travail à fournir et nous sommes effectivement un peu fatigués maintenant. [Il rit].

Brian McCall : Pouvez-vous vous présenter brièvement aux personnes qui nous écoutent ?

Abbé Stehlin : Je suis prêtre depuis 33 ans. J'ai été ordonné prêtre par Mgr Marcel Lefebvre le 29 juin 1988, la veille des consécrations épiscopales. J'ai reçu ma formation de séminariste au séminaire germanophone de la Fraternité. Alors que j'étais encore diacre, j'ai été envoyé au Gabon. J'ai donc reçu ma nomination dans la jungle africaine. J'y suis resté jusqu'en 1994, soit plus de huit ans.

Ensuite, j'ai été nommé premier supérieur de la première maison polonaise. Nous avons dû commencer notre apostolat dans les pays d'Europe de l'Est à partir de zéro. Quand je suis arrivé à Varsovie, il n'y avait aucune structure. Mais c'était vraiment merveilleux de pouvoir commencer l'apostolat ici, dans ce pays spécialement consacré à la Vierge.

Les débuts ont été difficiles. En 1994, nous n'étions que deux prêtres.

Après avoir pu exercer mon ministère pendant 20 ans en Pologne, les supérieurs m'ont déplacé. Je pensais qu'ils m'avaient oublié après tant d'années. [Il rit].

Ensuite, j'ai été quatre ans supérieur de district pour nos missions asiatiques. Puis est arrivé le chapitre général de la Fraternité et il a été décidé de me renvoyer en Pologne. Depuis août dernier, la Maison autonome de Pologne est devenue un véritable district pour la Pologne et les pays d'Europe de l'Est.

En 2000, avec l'autorisation du supérieur général, j'ai pu faire revivre l'observance originelle de la Militia Immaculatae de saint Maximilien Kolbe. Elle s'est entre-temps étendue dans le monde entier et nous avons aujourd'hui 125.000 chevaliers de l'Immaculée dans 62 pays. Accompagner l'IM, c'est un peu mon deuxième emploi. [Il rit.]

Brian McCall : Vous avez cité la Pologne. Dans quels autres pays d'Europe de l'Est la Fraternité est-elle active ?

Abbé Stehlin : Nous travaillons aussi en Ukraine. Notre ancien supérieur général, Mgr Bernard Fellay, y a fondé la Fraternité sacerdotale Saint-Josaphat pour les prêtres de rite byzantin. Nos pères se rendent aussi régulièrement dans les pays baltes - Lituanie, Lettonie et Estonie -, en Biélorussie - Minsk - et en Russie - Moscou.

Nous avons actuellement quatre prieurés en Pologne et un prieuré de cinq prêtres en Lituanie.

Brian McCall : Récemment, un dominicain polonais, le père Wojciech Gołaski, a déclaré dans une lettre ouverte son soutien à la Fraternité.

Abbé Stehlin : Je connaissais le père Wojciech Gołaski depuis plusieurs années. Il a été ordonné il y a 28 ans et est membre de l'Ordre des Frères prêcheurs depuis 35 ans. Il célébrait l'ancienne messe et était un prêtre "Ecclesia Dei". Pendant de nombreuses années, il ne pouvait pas du tout comprendre notre attitude et nous avons effectivement eu quelques "disputes amicales" par le passé.

Le 16 juillet 2021, j'ai reçu un appel téléphonique de sa part. Il m'a dit qu'il allait maintenant s'agenouiller et me demander pardon pour tout le mal qu'il avait dit sur la Fraternité.

Ce jour-là, le motu proprio "Traditionis custodes" [Gardiens de la tradition] avait été promulgué - nous l'appelons ici "Traditionis persecutores" [Persécuteurs de la tradition]. [Il sourit].

Une heure seulement après son apparition, son supérieur frappa à la porte de sa cellule monastique et lui dit : "Maintenant, c'en est fini de l'ancienne messe".

Depuis des années, il ne célébrait que la messe traditionnelle, ce qu'il pouvait faire parce qu'il travaillait dans une maison de retraite. Maintenant, son supérieur lui a dit : "Après le nouveau document, tu dois célébrer la nouvelle messe". Le père répondit : "Je ne peux pas". Le supérieur : "Alors pars !".

Le père a dit : "D'accord ! Je m'en vais". Il m'a appelé et m'a expliqué la situation.

J'ai été très touché par son humilité. "Traditionis custodes" lui a ouvert les yeux.

Je n'ai pu que lui dire : "Vous êtes le bienvenu". Il fait désormais partie des prêtres qui ont rejoint notre apostolat en Pologne.

Je demande à chaque prêtre qui vient travailler avec nous d'écrire une "apologie", une justification, de sa position. Car, du point de vue du droit canonique, quitter un diocèse, une paroisse, un ordre religieux ou une mission canonique est une chose grave. Dans cette justification théologique, les prêtres doivent expliquer pourquoi ils se sentent obligés en conscience de quitter leurs structures ecclésiastiques. Ils le font en effet parce qu'ils veulent préserver la foi catholique, parce qu'ils veulent conserver la messe transmise et - surtout - parce qu'ils doivent sauver leur propre âme.

Depuis 2019, pas moins de 13 prêtres ont rejoint notre district.

Brian McCall : 13 prêtres ? Où pouvez-vous les loger tous ? Avez-vous assez de place au prieuré ?

Abbé Stehlin : Eh bien, c'est une bonne question, nos maisons sont pleines, absolument pleines.

C'est bien, nous sommes en train de regarder comment nous pouvons les loger.

Si je veux visiter un de mes prieurés, je dois loger dans une auberge ou chez des fidèles. Il n'y a plus de place, il n'y a même plus de lit.

Nous pourrons - si Dieu le veut - ouvrir un nouveau prieuré en août prochain. À cela s'ajoute l'agrandissement de notre école - l'Académie Saint Thomas d'Aquin - à Varsovie. Elle accueille désormais 280 enfants. Nous avons construit un tout nouveau bâtiment pour le lycée et nous allons y créer de la place pour une communauté de prêtres.

C'est une question importante de savoir comment ces prêtres qui viennent chez nous peuvent conserver leur identité. Je suis le conseil de Mgr Lefebvre, qui soit a accepté ces prêtres dans la Fraternité, soit les a fait collaborer en tant que prêtres amis. Ces prêtres veulent en effet survivre spirituellement dans cette terrible catastrophe de l'Église. Certains veulent conserver leur identité monastique. Nous en discutons. Deux franciscains, un rédemptoriste et un pallotin vivent désormais avec nous.

Brian McCall : Sont-ils tous venus pour "Traditionis custodes" ?

Abbé Stehlin : Non, depuis que la situation dans l'Église est ce qu'elle est sous le pape François. Pensons à tous ces documents de Rome, "Amoris laetitia", le synode sur l'Amazonie, la Pachamama, le pan-œcuménisme, la déclaration d'Abu Dhabi, "Fratelli tutti". Toutes ces - je dois le dire - absurdités théologiques auxquelles nous assistons.

Pour certains, l'action des évêques polonais lors de la crise de Corona a également été un motif. Pour la première fois dans l'histoire de la Pologne, il n'y avait plus de célébration de Pâques dans le pays. On a dit aux catholiques que s'ils allaient à l'église le Vendredi saint, ce serait un péché mortel contre le cinquième commandement. Ces prêtres se sont alors posé la question : "Qu'est-ce que je fais ici ? Nous devons sauver des âmes, et les évêques ferment les églises."

Puis est venue l'obligation de la communion dans la main. Il y a quelques années, 95 pour cent des catholiques recevaient encore la communion sur la langue, dans le Novus Ordo.

Un père franciscain, parce qu'il prêchait contre la communion dans la main, a été convoqué par son supérieur. Il devait s'excuser et on l'a menacé de suspension.

"Maintenant, je sais où je dois aller". Le lendemain, il était chez nous.

Si vous dites à un Polonais : vous ne devez pas faire ceci ou cela, il le fera deux fois. [Il rit.]

Brian McCall : Vous avez parlé de 280 élèves à Varsovie. Alors vous devez aussi avoir un certain afflux de nouveaux fidèles ?

Abbé Stehlin : Le nombre de personnes qui assistent à la messe dans nos chapelles a triplé l'année dernière.

Lorsque j'ai commencé à travailler ici en Pologne en 1994, c'était encore le pontificat de Jean-Paul II "le Grand".

Si l'on avait un "problème" avec ce pape, il n'était pas nécessaire de présenter ici un argument supplémentaire. Les fidèles étaient très peu nombreux. Un exemple : A Varsovie, nous avons eu un peu plus de cent fidèles les dix premières années. Puis est arrivée "Summorum pontificum" et la levée de l'excommunication de nos évêques auxiliaires. Cela a facilité la situation. En 2012, nous avions alors environ 300 fidèles. En 2014, nous étions déjà 350, en 2018, 450, et à partir de 2019, nous sommes montés en flèche. À Noël, nous étions 1400. Nous avons maintenant six messes et utilisons une deuxième chapelle dans notre école.

Je suis devenu un "ouvreur de chapelle" - un peu comme un décapsuleur. [Rien qu'en 2021, j'ai inauguré douze nouvelles chapelles : trois en Slovaquie et neuf ici en Pologne. Nous avons maintenant 32 chapelles en Pologne, où nous allons régulièrement, où nous disons la messe, où nous entendons les confessions et où nous administrons les sacrements.

Brian McCall : Vous avez attribué cette croissance de l'apostolat à l'Immaculée. Pourquoi ? Pourquoi ces prêtres viennent-ils précisément maintenant ?

Abbé Stehlin : Tout d'abord, je demande aux prêtres : "Qu'est-ce qui vous amène chez nous ? Qu'est-ce qui vous amène à faire un tel sacrifice et à tout perdre" ? Il est très difficile pour les prêtres de venir chez nous. La machine de l'exclusion est encore pleinement en place. C'est une sorte d'inquisition sous des auspices modernistes. On est carrément accusé d'hérésie, on perd ses amis, on reçoit des lettres drastiques. C'est pourquoi j'ai demandé à ces prêtres ce qui les avait poussés à découvrir la Tradition. Immédiatement, tous disent : c'est la Vierge qui les a sauvés. C'est l'Immaculée qui les a poussés à lire tel ou tel livre ou à suivre telle ou telle pensée. Ils ont été guidés. Quand ils étaient désespérés, ils ont commencé à prier le chapelet de manière intensive.

Pour de nombreux prêtres, le plus grand obstacle pour se joindre à nous en ce moment est tout simplement la peur. C'est tout simplement la peur de l'inconnu, la peur de tout perdre. Ce n'est pas une peur rationnelle, c'est une tentation diabolique.

C'est toujours Notre-Dame du Bon Conseil qui leur a donné la force et les a orientés dans la bonne direction. Dans toutes ces difficultés, les prêtres ont fait l'expérience du réconfort de la Vierge. Récemment, lors d'une journée d'étude sur la spiritualité mariologique de la Fraternité, un prêtre m'a dit : "Notre-Dame m'a pris entre ses mains !"

Le plus grand mouvement marial de tous les temps, la Militia Immaculatae, a été fondé par saint Maximilien Kolbe en Pologne.

La Pologne est restée conservatrice, et même très conservatrice par rapport à d'autres pays du monde. Malgré tout ce progressisme, il y a encore la prière du rosaire, les dévotions et les pèlerinages, les sanctuaires. Il y a un fondement spirituel. Même s'ils reçoivent désormais une formation moderniste, notamment dans les séminaires du sud de la Pologne, les prêtres ont un bon background familial. Il n'y a probablement personne qui ne serait prêtre sans une dévotion mariale. Les Polonais aiment leur histoire. Et les gens pieux diront : la Pologne catholique a commencé avec Notre-Dame, elle a existé avec Notre-Dame, et elle a été préservée par Notre-Dame. L'esprit profond de la foi, le sensus catholicus, a été conservé.

Il y a encore de très nombreux prêtres qui envisagent de nous rejoindre. Cela va à l'encontre de ce que nous vivons actuellement à Rome.

L'intégralité de l'interview, qui se penche surtout sur l'action de la Militia Immaculatae, peut être consultée à l'adresse Internet suivante.