Le temps de l'Avent

Le Mitteilungsblatt (équivalent allemand du Rocher) a publié un entretien réalisé avec M. l'abbé Philippe Lovey au sujet du temps de l'Avent et de l'importance de cette préparation à la fête de Noël.

En voici le texte

Mitteilungsblatt : Dans l’esprit de nombreuses personnes, l’avent est une « période de pré-Noël » ou, pire, une période de Noël « anticipé ». Après le 25 décembre, la fête est déjà « finie ». On ne donc plus la différence entre le temps de l’Avent et le cycle des fêtes de Noël – au détriment des âmes ?

Ab. Lovey. J’ose espérer que cet esprit que vous décrivez n’existe pas chez nos fidèles. L’Avent, avec ses quatre semaines de préparation, dont les Quatre-Temps et la vigile de la Nativité, est un temps à la fois de pénitence qui rappelle l’immense attente de tous les justes de l’Ancien Testament de voir le Sauveur arriver, et un temps de désir intense de cette venue. Il faudrait donc que nous préparions notre âme en scrutant la liturgie. Elle suspend, sauf aux fêtes des saints, le Gloria, même si elle conserve l’Alléluia. Le prêtre à l’autel revêt la chasuble violette, en signe de pénitence. Et tout l’esprit de l’Avent se résume dans un mot que la liturgie répète sans cesse : « Veni Domine ! – venez Seigneur et ne tardez pas. » C’est une immense aspiration à la venue du Seigneur et non une fête anticipée. Du reste, la liturgie nous présente aussi la personne du Précurseur, saint Jean-Baptiste, qui crie dans le désert : « Préparez les voies, aplanissez les sentiers », autrement dit convertissez-vous. Voilà le véritable esprit de l’Avent. Quoi de mieux alors que de préparer une bonne confession !

Mais une fois que la Nativité est arrivée, c’est la joie ineffable de la présence divine parmi nous qui doit nous embraser. Les fêtes qui suivent la Nativité sont là pour nous manifester ce mystère de Dieu parmi nous : pensons simplement à la sainte Famille, modèle de toutes nos familles, à la fête de l’Epiphanie qui nous le montre comme Roi et Souverain prêtre.

 

Pouvez-vous esquisser brièvement l’histoire de l’Avent ?

Dom Guéranger, dans sa célèbre « Année liturgique » l’a fait de très belle manière.

Mais avant même de résumer cette histoire, peut-être est-il bon, pour comprendre cette période de l’année liturgique, de préciser que le mot « adventus » signifie « avènement, venue ». L’histoire de l’Avent coïncide donc avec tous les millénaires qui ont précédé et attendu l’arrivée du Messie promis et que les prophéties décrivent avec toujours davantage de précision : le saint roi David annonce qu’il sera Fils de Dieu (Introït de Noël), il manifeste qu’il sera prêtre « selon l’ordre de Melchisédech », qu’il sera l’hostie de son sacerdoce « ils ont percé mes mains et mes pieds ». Le prophète Isaïe précise qu’il sera le fils d’une Vierge et que son nom sera « Emmanuel – Dieu avec nous ». Il annonce aussi qu’il sera le « serviteur souffrant » (Is. Chap. 53). Le prophète Daniel nous indique l’époque de sa venue, tandis que Michée donne le nom de la ville où il verra le jour : Bethléem.

Quant à l’Eglise, il semble que cette observance, dit dom Guéranger, ait commencé d’abord en Occident. Comme la fête de Noël n’a été fixée au 25 décembre qu’au 4e siècle, en Orient, ce n’est que vers le 5e siècle que l’usage se fait de préparer les fidèles à la fête de la Nativité par des sermons. Saint Césaire d’Arles, saint Yves de Chartres, saint Bernard de Clervaux, entre autres, nous ont laissé des sermons de Adventu Domini. Le plus ancien document qui relate le temps de l’Avent est de la plume de saint Grégoire de Tours. Il rapporte que l’un de ses prédécesseurs, saint Perpétuus (480) avait statué que les fidèles jeuneraient trois fois la semaine depuis la fête de saint Martin (11 novembre) jusqu’à Noël. Cette pratique de pénitence qui s’étendit à tous les fidèles reçut le nom de Carême de saint Martin. D’abord d’une durée de 40 jours, elle fut ensuite réduite, au 9e siècle à quatre semaines.

La forme liturgique de l’Avent, telle que l’Eglise romaine la garde encore aujourd’hui a connu des variations. Saint Grégoire paraît le premier à avoir composé cet office qui comprenait initialement cinq dimanches. Si l’usage de consacrer un temps plus ou moins long pour se préparer à la fête de Noël est immémorial, il semble bien que saint Grégoire soit l’auteur du précepte ecclésiastique de l’Avent.

 

Dom Prosper Guéranger. L’un des grands rénovateurs de l’amour de la liturgie romaine au 19e siècle a parlé d’une « mystique de l’Avent ». Que veut-il dire par là ?

Ces considérations sont très profondes. Il écrit que le mystère de l’avènement de Notre-Seigneur est à la fois simple, car c’est le Fils de Dieu qui vient, mais qu’il est cependant triple, car il vient en trois temps et en trois manières.

Il cite Pierre de Blois qui explique ce triple avènement de l’unique Fils de Dieu : « Il y a trois avènements du Seigneur, le premier dans la chair, le second dans l'âme, le troisième par le jugement. Le premier eut lieu au milieu de la nuit, suivant ces paroles de l'Evangile : Au milieu de la nuit un cri s'est fait entendre : Voici l'Epoux ! Et ce premier avènement est déjà passé : car le Christ a été vu sur la terre et a conversé avec les hommes. Nous sommes présentement dans le second avènement : pourvu toutefois que nous soyons tels qu'il puisse ainsi venir à nous, car il a dit que si nous l'aimons, il viendra à nous et fera sa demeure en nous. Ce second avènement est donc pour nous une chose mêlée d'incertitude ; car quel autre que l'Esprit de Dieu connaît ceux qui sont à Dieu ? Ceux que le désir des choses célestes ravit hors d'eux-mêmes, savent bien quand il vient ; cependant, ils ne savent pas d'où il vient, ni où il va. Quant au troisième avènement, il est très certain qu'il aura lieu ; très incertain quand il aura lieu : puisqu'il n'est rien de plus certain que la mort, et rien de plus incertain que le jour de la mort… Le premier avènement fut donc humble et caché, le second est mystérieux et plein d'amour, le troisième sera éclatant et terrible. Dans son premier avènement, le Christ a été jugé par les hommes avec injustice ; dans le second, il nous rend justes par sa grâce ; dans le dernier, il jugera toutes choses avec équité. Agneau dans le premier avènement, Lion dans le dernier, ami plein de tendresse dans le second. »

 

Comment organiser l’Avent en famille pour mettre en évidence cette distinction ?

Il me semble que nos familles peuvent très bien s’appliquer par exemple à préparer la crèche de Noël assez tôt. Faire qu’elle soit belle et que tous y participent. Mais surtout manifester que cette représentation, qui rappelle le premier avènement, doit être soutenue par une préparation intérieure. Ce Jésus qui vient, nous le verrons dans une crèche. Mais il vient pour faire de notre âme pour ainsi dire sa crèche. Il vient habiter en nous. Et c’est ce qui correspond au second avènement. En famille, il faut cultiver le désir de la venue du Christ en la nuit de la Nativité. Si les réjouissances bien légitimes des repas et cadeaux de famille entretiennent l’esprit de famille, il faut éviter de se laisser tellement accaparer par la préparation de ces festivités que l’essentiel nous échappe. Il y en a un qui attend plus que tous les autres un cadeau… C’est Jésus. Il a soif de notre foi, de notre amour, de nos cœurs. Voilà la disposition qui correspond au deuxième avènement. Et c’est elle qui prépare le mieux le troisième car, comme personne ne connaît ni le jour ni l’heure, le mieux est d’être toujours prêt. Faire donc de son âme la maison de Dieu dans laquelle vivent à la fois l’espérance, la foi et la charité, c’est préparer l’ultime rencontre de la meilleure des manières. Notre vie devient alors comme un perpétuel Avent, dans l’attente de la possession de Dieu.

 

Pénitence, lecture spirituelle, aumône, amour du prochain – autant de mots-clés qui rythment l’Avent. Que conseillerez-vous de plus ?

C’est déjà plutôt bien ! Mais si je pouvais conseiller un plus, c’est de vivifier la vertu d’espérance. Dans le monde qui nous entoure les perspectives sont dures et l’atmosphère matérialiste actuelle, sans même évoquer les théâtres de guerre et leurs drames, pèse sur nous et nos familles. Il faut lever les yeux : « Ad te levavi animam meam – Vers vous, Seigneur, j’ai élevé mon âme. » C’est l’introït du premier dimanche de l’Avent. C’est l’attitude du chrétien : le désir de Dieu. Avoir les pieds bien sur terre, mais le cœur en Dieu. L’espérance est le merveilleux moteur de la vie chrétienne.

Y a-t-il dans les séminaires de la Fraternité Saint-Pie X des coutumes particulières qui rythment l’Avent ?

J’ai fait tout mon séminaire à Ecône et ne saurais dire quelles sont les coutumes dans les autres séminaires. Si les couronnes de l’Avent rappellent l’approche de la Nativité, nous avons surtout les derniers jours le chant des fameuses antiennes « O », souvent méconnues des fidèles. Ce sont les antiennes du Magnificat à l’Office des Vêpres qui sont adressées au Christ et manifestent l’attente messianique de tout l’Ancien Testament. Elles attribuent au Christ des titres tirés des prophéties messianiques pour faire croître notre attente du Sauveur. Mais elles ont aussi ceci de particulier que, si l’on prend la première lettre des vocables attribués à Notre-Seigneur, on entend la voix de Celui qui vient : O Sapientia, O Adonai, O Radix Jesse, O Clavis David, O Oriens, O Rex gentium, O Emmanuel. On aura ainsi S, A, R, C, O, R, E, mais qu’il faut lire à partir du terme désiré, donc à l’envers. Et cela donne une phrase latine pleine d’espérance : Ero cras – Demain, je serai là !

 

Comment Mgr Lefebvre célébrait-il l’Avent ?

Pour autant que je m’en souvienne, je dois vous avouer que notre vénéré Fondateur ne faisait rien d’autre que d’épouser les sentiments qui animent la liturgie. Il vivait l’Avent de manière intérieure, profonde, mais très simple, sans rien de particulier. On voit cependant à la lecture de ses homélies de la Nativité qu’il méditait profondément toute la doctrine de l’Avent. Dans une homélie de 1979, il revient sur les trois venues de Notre-Seigneur évoquées plus haut. Dans une autre de 1983, il dit que tout l’Avent est embaumé de la présence de la très sainte Vierge Marie. En 1987, il insiste pour montrer tous les bienfaits de grâces qu’une nouvelle année liturgique apporte avec elle et parle du don extraordinaire que Dieu nous a fait par l’incarnation de son divin Fils. En fait, il est un exemple merveilleux de l’adage « sentire cum Ecclesia – avoir l’esprit de l’Eglise », car vivre au rythme de l’année liturgique, c’est faire siens les sentiments du Christ dont la liturgie nous présente tous les mystères.

 

Au cœur de l’Avent se trouve la fête de l’Immaculée. Ce n’est pas pour rien que cette fête se situe dans l’Avent.

Vous avez parfaitement raison. Notre-Dame est au cœur du temps de l’Avent. La première raison tient à la promesse faite par Dieu à nos premiers parents : « Une femme et sa descendance écrasera la tête du serpent. » C’est la grande promesse qui traverse tout l’Ancien Testament et que précise en particulier le prophète Isaïe quand il dit qu’une « Vierge enfantera ».

Mais Notre-Dame est au cœur de ce temps liturgique parce que ce temps signifie aussi son amour embrasé et sa sainte impatience dans l’attente de la naissance de cet Enfant qu’elle porte et qui est le Fils du Très-Haut. Saint Louis-Marie Grignion de Montfort a dit d’elle qu’elle était « le paradis terrestre du Fils de Dieu qui a magnifié sa toute-puissance à être dépendant de Marie, dans sa conception, dans sa nativité, et jusque dans sa mort. » Elle le porte en elle et l’adore de toute son âme dans l’attente du jour où elle verra pour la première fois les traits humains du Fils de Dieu. Elle nous est donc un modèle du grand désir de Dieu qui doit nous animer tout au long de cet Avent.