La parole de Mgr Marcel Lefebvre – Le Rocher 142

La fête de Pâques nous apprend la pauvreté

Notre-Seigneur nous enseigne une pauvreté bien plus que matérielle. Elle se résume en trois mots : la docilité de nos intelligences ; la disponibilité de nos volontés ; le détachement des biens de ce monde.

L’exemple de la Passion de Notre-Seigneur

A la fin de la Semaine sainte, nous avons vécu des heures émouvantes en essayant de participer aux sentiments que Notre-Seigneur Jésus-Christ avait lui-même au cours des dernières journées de sa vie. Le Jeudi saint, nous avons ressenti les douleurs que Notre-Seigneur éprouvait par la trahison de l’un de ses Apôtres, Judas, et bientôt dans la soirée par l’abandon de ses Apôtres eux-mêmes qu’il venait pourtant de faire prêtres, prêtres pour l’éternité, et pour lesquels il avait offert le premier sacrifice au cours de la Cène.

Ses Apôtres l’abandonnent. Nouvel abandon, nouvelles douleurs pour Notre-Seigneur Jésus-Christ. Le lendemain, au cours de la journée du Vendredi saint, nous avons assisté à la mort de Notre-Seigneur et au déchirement de son Cœur en voyant que son peuple bien-aimé – le peuple d’Israël qu’il a choisi pour naître ici-bas, qu’il a choisi pour accomplir son œuvre de Rédemption – le crucifie, le renie, le rejette. Nouveau déchirement pour Notre-Seigneur.

Et enfin, comme si Notre-Seigneur lui-même, avant de mourir, voulait pouvoir dire qu’il a tout donné à son Père, qu’il n’a rien gardé pour lui, voyant sa mère au pied de la Croix, il la remet dans les mains de saint Jean. Notre-Seigneur peut vraiment dire qu’il a tout donné, que tout est consommé. Il n’a plus rien, rien ici-bas, mais tout au Ciel. Au moment même où les forces de l’enfer ont réussi à le flageller, ont réussi à réduire son Corps semblable à celui d’un lépreux, ont réussi à le faire mourir, c’est le moment de la victoire de Notre-Seigneur.

De même que, lorsque le Pharaon croyait pouvoir ramener les Juifs en Egypte pour les réduire à nouveau en esclavage, Dieu engloutit dans les flots de la Mer rouge les armées du Pharaon dont il se glorifiait, ainsi les gardes qui étaient auprès du tombeau de Notre-Seigneur ont été terrassés. Notre-Seigneur, malgré les armes dont se glorifiaient les princes de ce monde, a triomphé et il est maintenant comme il est toujours, ce que dans la nuit [de Pâques] nous disions de Notre-Seigneur :

Christus heri, et hodie et in sæcula – le Christ hier, aujourd’hui et dans tous les siècles.

Principium et finis – il est le commencement et la fin.

Alpha et Omega – il est l’alpha et l’oméga, à lui sont tous les temps.

Ipsius sunt tempora et sæcula – le temps et l’éternité lui appartiennent.

Ipsi gloria et imperium per universa æternitatis sæcula – A lui sont la gloire et le commandement, maintenant et dans tous les siècles.1

Voilà ce qu’est Notre-Seigneur. Ainsi Notre-Seigneur a fait lui aussi son transitus, sa Pâque, son passage de ce monde d’ici-bas – dans lequel les puissances des ténèbres ont essayé de l’écraser, de l’empêcher d’accomplir son œuvre – à l’éternité. A travers toutes ces difficultés, Notre-Seigneur est monté au Ciel, glorieux, triomphant, comme les Hébreux ont triomphé du Pharaon, faible image de la Pâque de Notre-Seigneur, de ce passage à l’éternité, de ce passage à son Père.

Notre-Seigneur Jésus-Christ est notre Sauveur et notre Roi

C’est là un exemple pour nous : si nous voulons participer à la gloire de Notre-Seigneur, si nous voulons participer à sa Résurrection, à sa Rédemption, nous devons le suivre. Il l’a dit : « Je vous ai donné l’exemple, afin que, comme je l’ai fait, vous le fassiez, vous aussi. Exemplum dedi vobis, ut quemadmodum ego feci, ita et vos faciatis. »2 Il nous a dit : « Suivez-moi, suivez mon exemple, suivez-moi en portant votre croix et alors, vous participerez aussi à ma gloire ». Voilà ce que Notre-Seigneur nous dit aujourd’hui à chacun d’entre nous. (…) Tous les fidèles, tous ceux qui sont chrétiens, qui s’honorent de ce nom de chrétien, qui sont donc les disciples de Notre-Seigneur Jésus-Christ doivent le suivre.

Il me semble que l’on peut concrétiser d’une manière plus effective, d’une manière plus évidente, cette imitation de Notre-Seigneur Jésus-Christ dans la première des béatitudes. De même que Notre-Seigneur est né pauvre, il a voulu mourir pauvre. On lui a tout enlevé, jusqu’à déchirer son propre Corps, jusqu’à faire couler tout son Sang. On lui a tout enlevé. Il est mort pauvre, comme il est né pauvre. « Beati pauperes spiritu, quoniam ipsorum est regnum cœlorum. Bienheureux les pauvres en esprit, parce que le Royaume des cieux leur appartiendra. »3 Voilà ce que Notre-Seigneur nous enseigne.

Mais qu’est-ce que cette pauvreté ? Peut-être, trop facilement, nous la comprenons comme une pauvreté matérielle. C’est bien plus que cela ! C’est beaucoup plus beau que cela, beaucoup plus grand que cela ; cette pauvreté dont nous parle Notre-Seigneur se résume en trois mots : la docilité, la disponibilité et le détachement. Dans notre esprit et dans notre intelligence, être pauvre c’est nous remplir de la Vérité qu’est Notre-Seigneur Jésus-Christ. Désormais, nous n’avons plus rien d’autre ici-bas que Notre-Seigneur Jésus-Christ. Nous n’avons plus d’autre Dieu, nous n’avons plus d’autre voie, nous n’avons plus d’autre vérité, plus d’autre secours, plus d’autre soutien, d’autre salut que Notre-Seigneur Jésus-Christ. Il est donc tout pour nous, tout pour nos intelligences, alors, il faut vider nos intelligences de nous-mêmes. Dans la mesure où nous sommes attachés à nos propres idées, nous ne sommes pas avec Notre-Seigneur Jésus-Christ et nous n’avons pas Notre-Seigneur Jésus-Christ en nous. Il faut ouvrir nos âmes, nos esprits à Notre-Seigneur Jésus-Christ, à la Vérité, à cette Vérité qui consiste en ce que Notre-Seigneur Jésus-Christ est notre Roi, Notre-Seigneur Jésus-Christ est Dieu, Notre-Seigneur Jésus-Christ est, lui, la seule source de notre salut.

Aujourd’hui on veut diminuer la divinité de N.-S. Jésus-Christ

Voilà pourquoi, angoissés et anxieux, nous faisons tant de réserves à tout ce qui se dit, à tout ce qui se fait aujourd’hui parce qu’on voudrait nous arracher la divinité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, on voudrait nous la diminuer, on voudrait diminuer le règne de Notre-Seigneur Jésus-Christ.

J’ai entendu dernièrement de la bouche d’un prélat très élevé que le règne social de Notre-Seigneur Jésus-Christ n’était plus possible, qu’il ne fallait plus y penser. Est-ce possible ? Pour nous, nous croyons au règne social de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Il est Roi. Il doit être Roi, quand bien même tous les Etats seraient laïcisés, quand bien même toutes les sociétés seraient maçonniques, quand bien même toutes les sociétés se lèveraient contre Notre-Seigneur Jésus-Christ.

D’ailleurs nos prières au cours de la Semaine sainte le disaient : « Astiterunt reges terræ, et principes convenerunt in unum, adversus Dominum, et adversus Christum ejus. Les rois et les puissances de ce monde se sont levés contre Notre-Seigneur Jésus-Christ. »4 Serons-nous d’accord avec cela ? Non ! Nous croyons au Royaume de Notre-Seigneur Jésus-Christ, nous le voulons pour nous personnellement, nous le voulons pour nos familles, nous le voulons pour nos cités. Notre-Seigneur a le droit de régner sur nous. Il régnera dans l’éternité, mais il doit régner ici-bas aussi. Ne prononçons-nous pas tous les jours : « Adveniat regnum tuum, que votre règne arrive » ? Ne prononçons-nous pas tous les jours : « Que votre volonté, ô Notre-Seigneur Jésus-Christ, soit faite ici-bas comme au Ciel » ? (…) Voilà quel est notre programme, le programme que Notre-Seigneur Jésus-Christ nous a donné. Voilà quelle est notre vérité et nous ne voulons pas qu’on nous l’enlève, nous ne voulons pas qu’on nous la diminue. Nous y tenons jusqu’au plus profond de notre âme. Nous sommes prêts à donner notre sang pour le règne de Notre-Seigneur Jésus-Christ, comme l’ont fait tous les martyrs, tous les saints.

Docilité à Notre-Seigneur Jésus-Christ. Disponibilité de notre volonté à celle de Notre-Seigneur Jésus-Christ. « Que voulez-vous que je fasse ? », comme disait saint Paul, terrassé par la puissance de Notre-Seigneur5. « Que voulez-vous que je fasse, ô Seigneur ? Que votre volonté soit faite. Fiat voluntas tua ». Voilà ce que nous devons toujours avoir dans nos cœurs et dans nos volontés. Que la volonté de Dieu, la volonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ soit faite. Etre disponibles, par conséquent ne rien opposer à la volonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ et ne jamais s’opposer à sa sainte volonté. C’est la perfection. (…)

Enfin, dans les choses matérielles : détachement, suivant les conditions dans lesquelles nous vivons. User des biens de ce monde, suivant notre condition. (…) Voilà ce que nous apprend la fête de Pâques, mes bien chers frères : la pauvreté. Telle est la pauvreté. Pauvreté de nos intelligences qui se traduit par la docilité ; pauvreté dans la volonté qui se traduit par la disponibilité ; pauvreté dans le détachement des biens de ce monde. « Quæ sursum sunt quærite, quæ sursum sunt sapite, non quæ super terram. Cherchez les choses d’en haut, ne cherchez pas les choses de la terre. »6 Voilà ce que nous chantons aujourd’hui même, à l’occasion du triomphe de Notre-Seigneur Jésus-Christ sur tous les éléments de ce monde.

Mgr Marcel Lefebvre

(Pâques – Ecône, 18 /04/1976)

  • 1Bénédiction du cierge pascal.
  • 2Jn 13, 15.
  • 3Mt 5, 3.
  • 4Ps 2, 2.
  • 5Actes 9, 6.
  • 6Col 3, 1-2.