La parole de Mgr Marcel Lefebvre – Le Rocher 139

Le faux œcuménisme et ses conséquences

L’œcuménisme tel qu’on l’entend depuis Vatican II est faux. C’est par lui nous arrivons à la destruction de la religion catholique.

La réforme liturgique

La réforme liturgique dérive, à mon avis, d’un faux œcuménisme qui veut ni plus ni moins nous assimiler au protestantisme. Car on a voulu nous rapprocher des protestants non en les attirant vers le catholicisme, mais en rapprochant au contraire celui-ci du protestantisme. C’est pour cela qu’on a changé les formules du saint sacrifice de la messe, toutes celles aussi des sacrements, on a modifié le bréviaire des prêtres, le calendrier. Tout cela a été fait pour éviter tout ce qui peut gêner les protestants.

Mais à force de se demander avant chaque réforme ce que pensent les protestants, on finit évidemment par éliminer tout ce qui est proprement catholique, tout ce qui rappelle vraiment notre foi à l’encontre des erreurs protestantes.

Par exemple si vous prenez les nouveaux textes pour les enterrements, vous verrez qu’on n’y exprime plus la distinction entre le corps et l’âme, même si on parle du « principe vital » ; c’est très grave. Du bréviaire des prêtres on a enlevé tous les psaumes imprécatoires, qui demandent à Dieu de réduire à néant les ennemis de la religion et de l’Eglise. Pourquoi ? Devons-nous maintenant censurer l’Esprit-Saint ? Or c’est bien ce que nous faisons en choisissant seulement les psaumes qui conviennent aux protestants.

C’est ainsi que dans la messe aussi, pour plaire aux Juifs, le nouvel offertoire est tout simplement une bénédiction juive du quatrième siècle, d’un rabbin qui bénit le repas de famille.

Quant à la transformation du Canon, en particulier celle de la consécration, vous la retrouverez chez Luther. Car lui aussi a ajouté « Quod pro vobis tradetur » après « Hoc est corpus » : « Ceci est mon corps livré pour vous ». Or Luther l’a ajouté pour reproduire plus exactement la Cène qui, pour les protestants, n’est qu’un repas et non un sacrifice.

Or le concile de Trente enseigne bien : « Celui qui dit qu’à la Cène il n’y a eu qu’un repas et non un sacrifice, qu’il soit anathème ». Car il y a eu un réel sacrifice au moment de la Cène : Notre-Seigneur séparant son corps et son sang et préfigurant ainsi le sacrifice qu’il devait offrir sur la croix. Or les protestants le nient et ne veulent précisément reproduire le récit de la cène que comme un repas commémoratif. C’est aussi pourquoi on prononce les paroles de la consécration sans différence de ton et sans s’y arrêter particulièrement, tandis que selon le missel romain on se rend compte tout de suite que se réalise un mystère extraordinaire, celui de l’action sacrificielle de la présence de Notre-Seigneur Jésus-Christ qui conti­nue à la messe son sacrifice de la croix.

La conception protestante est morte parce qu’elle est seulement historique : on répète les choses qui se sont faites dans le temps. Dans la conception catholique, au contraire, la messe est un véritable sacrifice, celui-là même qui s’est passé au Calvaire. Il n’y a pas de différence entre le Calvaire et la sainte messe si ce n’est que le sacrifice au Calvaire était sanglant, et à la messe non sanglant ; mais à l’un et l’autre Notre-Seigneur Jésus-Christ est victime et prêtre. Nous ne sommes que ses ministres, nous agissons en la personne du Christ, mais le vrai ministre c’est lui.

Par conséquent on comprend toutes les attitudes du prêtre dans le canon romain : il s’arrête avant de prononcer les paroles merveilleuses qui vont produire le miracle le plus extraordinaire de Notre-Seigneur, le mystère qui est à la source de toute la civilisation chrétienne. (…) Voilà pourquoi nos belles églises, nos cathédrales, nos sanctuaires magnifiques, furent élevés au-dessus de l’autel. Mais pour le protestant tout cela est mort puisqu’il a une religion seulement historique.

Alors, pourquoi nous faire copier les protestants ? Pourquoi vouloir que le prêtre récite les paroles de la consécration sur le même ton que le reste ; sans plus s’incliner, avec une seule génuflexion après l’élévation ? Tout cela est extrêmement dangereux, à force de vouloir nous assimiler aux protestants nous le deviendrons nous-mêmes. Les enfants surtout, qui n’auront pas connu la manière de faire d’autrefois, auront une mentalité protestante. (…) Ils ne le savent plus car on ne le leur dit plus, on n’y croit plus. Même des prêtres commencent à douter de la présence réelle. On met le saint sacrement loin de l’autel, n’importe qui le distribue n’importe comment et sans respect, parce qu’on ne croit plus à cette réalité du saint sacrifice de la messe.

La réforme du catéchisme et des sacrements

Comme autre très grave conséquence de l’œcuménisme il faut aussi citer la réforme du catéchisme, la catéchèse. On ne nie pas, mais on laisse de côté certaines vérités dont on ne parle plus. On ne parlera plus des anges, de l’enfer, ni du purgatoire, et à plus forte raison des limbes. On parlera de la Vierge Marie mais on ne dira plus qu’elle a été toujours vierge, non plus semper virgo mais virgo seulement. On omettra également de parler du péché originel, et pourtant toutes ces choses sont essentielles pour notre sainte religion et nous ne pouvons pas les taire.

On nous dira que parler de l’enfer, du purgatoire ou du péché originel à des enfants leur donne des complexes, et qu’il ne faut donc pas trop y insister. On nous dira que notre religion doit quand même évoluer et que l’expression de la foi doit s’adapter. Mais en transformant ainsi la catéchèse, et ceci dans tous les pays, on finit par transformer la foi et par changer son concept même.

Car notre foi, la foi catholique, est l’adhésion de notre intelligence à la révélation faite par Notre-Seigneur Jésus-Christ, à cause de l’autorité de Dieu qui révèle ; la foi protestante est tout autre chose. Elle est, tandis qu’un sentiment intérieur nous pousse vers Dieu, une protestation intérieure de confiance en Dieu. Or, vous remarquerez que les formules actuelles des sacrements sont précisément beaucoup plus une protestation de notre foi qu’une expression de celle-ci, c’est donc très dangereux aussi.

Le baptême, selon les nouvelles formules, est davantage une initiation, une entrée dans la communauté chrétienne, que le rachat et la suppression du péché originel. Ensuite, cette espèce de collectivisme se retrouve dans le sacrement de pénitence avec les absolutions collectives.

Remarquez aussi que les péchés qu’on demande d’accuser ne sont plus les péchés personnels commis envers Dieu comme le blasphème, mais les péchés contre la communauté commis envers le prochain, comme les manquements à la charité.

Ensuite, la communion, l’eucharistie, devient aussi l’expression de la communauté : nous sommes tous unis dans le partage du même pain. Ainsi la messe est réduite à une espèce d’expression de la communauté chrétienne.

Et l’ordre ? Le prêtre deviendra le président de la communauté, on ne parlera plus du caractère sacerdotal qu’il a reçu pour offrir le saint sacrifice de la messe (…). Non, le prêtre n’est plus cela, il devient celui qui préside la communauté.

Et il en est ainsi de tous nos sacrements. Le mariage ne sera plus que la multiplication matérielle des membres de la communauté chrétienne.

Et voilà, de cette façon on donne une idée collectiviste de nos sacrements sans plus s’occuper de cette merveilleuse réalité qu’est la grâce surnaturelle, par laquelle nous renaissons à la vie surnaturelle, nous sommes incorporés à Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même. Ce sont deux mondes différents : d’un côté nous demeurons dans un plan purement humain, religieux mais humain, et de l’autre nous sommes élevés à l’état surnaturel, à la vie divine, celle de la très sainte Trinité, que nous devons à Notre-Seigneur venu sur terre pour cela. C’est dire la différence !

Voilà ce qui fait toute la grandeur et la beauté du prêtre, et on comprend très bien que si l’eucharistie n’est plus qu’un signe de la communion, que si le prêtre n’est plus que le président de la communauté, alors il se tourne vers les fidèles. Si c’est un repas, on ne détourne pas son visage des convives, on se met évidemment vis-à-vis d’eux. De même on ne donnera pas la nourriture dans la bouche comme à des enfants, et c’est ce qui explique la communion dans la main. Ainsi toutes ces nouveautés liturgiques se comprennent très bien.

Mais si l’on revient à la notion de sacrifice, c’est tout différent. Si la victime, la cause du sacrifice, est vraiment présente sur l’autel et que la communion n’est que le fruit du sacrifice, alors, en la mangeant, nous participons à la victime.

De même on comprend très bien que le prêtre qui offre le sacrifice de la messe, et qui est en quelque sorte détaché de la terre par ces paroles mystérieuses et divines, s’éloigne des fidèles et soit seul à seul avec Dieu, comme le grand prêtre dans le Temple se retirait une fois par an derrière le rideau seul avec Dieu et revenait ensuite porter les bénédictions aux fidèles.

On comprend que le prêtre se tourne vers le crucifix et vers Dieu pour réaliser ce mystère, et qu’ensuite il se tourne vers les fidèles pour leur donner Notre-Seigneur Jésus-Christ. Et par conséquent, avec quel respect, puisque c’est vraiment Dieu qui est présent, nous devons nous agenouiller devant Notre Seigneur Jésus-Christ pour le recevoir ; avec un tel respect que nous n’osons pas le toucher de nos mains non consacrées, non sanctifiées mais que nous le recevons sur nos lèvres !

Je ne dis pas qu’elle soit hérétique ou invalide mais, en changeant cette conception catholique, la réforme liturgique présente le très grand danger de nous faire doucement prendre une mentalité purement protestante.

Mgr Marcel Lefebvre

(Montréal, 1982)