La parole de Mgr Marcel Lefebvre – Le Rocher 126
C’est moi, l’accusé, qui devrais vous juger !
On se souvient que l’épiscopat français avait qualifié Ecône de “séminaire sauvage”.* Les persécutions devaient rapidement s’enchaîner. Une commission créée par Paul VI et comprenant les cardinaux Garrone, Wright et Tabera, envoyait à Ecône deux visiteurs apostoliques, Mgr Albert Descamps (1916-1980) et Mgr Willy Onclin (1905-1989), dont le comportement et les propos avaient été si choquants qu’ils devaient provoquer la fameuse déclaration faite par Mgr Lefebvre, le 21 novembre 1974. Quelque dix semaines après, Monseigneur était invité par ladite commission à venir s’entretenir avec ses membres « de points qui laissaient quelque perplexité ».
Répondant à cette invitation, je me suis rendu le 13 février 1975 à la Congrégation de l’Education catholique. Leurs éminences les cardinaux Garrone, Wright et Tabera accompagnés d’un secrétaire, m’ont invité à prendre place autour d’une table.
Après m’avoir dit la bonne impression recueillie par les visiteurs apostoliques, il n’a plus été question de la Fraternité et du séminaire. Il n’a été question que de ma déclaration du 21 novembre. […]
Avec véhémence, le cardinal Garrone m’a reproché cette déclaration, allant jusqu’à me traiter de « fou », me disant que « je me faisais Athanase » et cela pendant 25 minutes. Le cardinal Tabera renchérit, me disant « ce que vous faites est pire que ce que font tous les progressistes » et que « j’avais rompu la communion avec l’Eglise », etc.
Me trouvais-je devant des interlocuteurs ? Ou plutôt des juges ?
J’ai eu l’impression d’avoir été trompé : on m’invitait pour un entretien et en fait j’avais affaire à un tribunal décidé à me condamner.
A mes interrogateurs de la Congrégation pour la doctrine de la foi qui m’accusaient de diviser l’Eglise, je fis en substance cette réponse :
– « Messieurs, vous avez de l’histoire de l’Eglise des derniers siècles une connaissance aussi grande sinon plus grande que la mienne. Cette histoire nous fait connaître que cette division existe depuis au moins deux siècles dans l’Eglise entre les catholiques et les libéraux. Mais ceux-ci ont toujours été condamnés par les papes jusqu’au concile Vatican II où par un mystère insondable de la Providence ces libéraux ont pu faire triompher leurs idées et occuper les postes les plus importants de la Curie romaine. Quand je pense que nous sommes ici dans l’immeuble du Saint-Office qui est le témoin exceptionnel de la Tradition et de la défense de la foi catholique, je ne puis m’empêcher de penser que je suis chez moi et que c’est moi que vous appelez “le traditionaliste” qui devrais vous juger. Un jour la Vérité reprendra ses droits. »
Mgr Marcel Lefebvre
(C’est moi, l’accusé, qui devrais vous juger ! Ed. Fideliter, 1994, pp. xiii-xiv)
Voici comment Monseigneur racontait la même entrevue aux séminaristes…
Quand j’entends les interrogatoires qu’on faisait au cardinal Mindszenty eh bien ! je crois que c’était un interrogatoire semblable que je subissais là-bas, parce qu’on me répétait toujours les mêmes choses, on m’assénait les mêmes arguments, on ne voulait rien savoir de ce que je disais, je me trouvais comme devant un mur. On avait l’impression que la sentence était déjà pratiquement portée avant même de faire l’interrogatoire et que l’interrogatoire n’est fait que pour pouvoir ensuite dire publiquement : mais il a été interrogé, mais il a pu se défendre, mais il a pu… Pratiquement je crois que c’est plus pour l’opinion publique que l’on fait cela mais que, au moins dans l’esprit de ceux qui interrogeaient, le blâme était déjà opté d’avance. […]
Devant la dégradation de plus en plus évidente de la morale, de la foi, des mœurs, de la liturgie, nous ne pouvons pas rester indifférents. C’est pourquoi nous devons maintenir absolument notre fermeté, notre ferme position et ne pas douter un instant, ne pas douter un instant de la légitimité de notre position ! Et quand on nous dit que nous sommes des orgueilleux… Le cardinal m’a dit :
– Vous vous faites un pape alors, vous êtes comme le pape n’est-ce pas !
– Moi je n’ai pas la moindre prétention dans ce domaine !
– Ou bien on vous dit Athanase n’est-ce pas, on vous dit Athanase !
Je ne pense pas avoir jamais dit moi-même que j’étais Athanase ! Mais ce n’est pas nous qui jugeons, ce n’est pas moi qui me fais juge ! Je ne suis que l’écho d’un magistère qui est clair, qui est évident, qui est dans tous les livres, toutes les encycliques des papes, tous les documents conciliaires, tous les livres de théologie d’avant le Concile… Vous voyez bien que ce que l’on dit maintenant n’est pas conforme à tout ce magistère qui a été professé pendant 2000 ans ! Alors qui a raison ? Ce qui se dit maintenant, les nouveautés qui ont lieu maintenant ou ceux qui ont parlé pendant 2000 ans et qui ont professé la même foi ?
C’est le magistère qui vous condamne, le magistère de l’Eglise, c’est la Tradition de l’Eglise qui vous condamne, ce n’est pas moi. Je sais bien que je ne suis rien, je n’ai aucun pouvoir, je ne fais qu’être l’écho de la Tradition, et du magistère de l’Eglise, ce n’est pas autre chose ! Ce sont des choses tellement évidentes qui contredisent la morale, qui contredisent la foi, qui contredisent toutes les coutumes les plus essentielles de l’Eglise…
Le Bon Dieu ne peut pas nous abandonner
Je ne vois pas quoi vous dire encore à ce sujet-là sinon de prier et de demander au Bon Dieu de nous venir en aide, je crois que le Bon Dieu ne peut pas nous abandonner, je suppose qu’il y aura une chose qui ne sera ni chair ni poisson, un document dans lequel on nous fera quelques compliments et en même temps quelques blâmes. L’essentiel c’est que nous continuions et que nous puissions continuer tranquillement sans avoir des documents officiellement contre nous, qui sembleraient nous couper les amarres avec tout. Je ne crois pas qu’ils fassent cela, mais encore même feraient-ils cela ; que voulez-vous, à la grâce de Dieu…
Je pense que nous sommes d’Eglise, que nous sommes des fils de l’Eglise, que nous continuons l’Eglise et je pense que ce sont ceux qui ne sont pas dans la vérité, qui sont dans l’erreur et se séparent de l’Eglise, même s’ils sont haut placés dans la sainte Eglise ! L’erreur c’est l’erreur, la vérité c’est la vérité ; ce n’est pas parce qu’ils sont Préfets d’une Congrégation qu’ils peuvent dire n’importe quoi et que parce qu’ils le disent tout est vérité, ce n’est pas vrai ! Le cardinal Tabera, qui a beau être cardinal, qui a beau être le Préfet de la Congrégation des religieux, s’il dit une erreur, c’est une erreur, que voulez-vous que j’y fasse ! S’il dit une erreur, ce n’est pas lui qui continue l’Eglise et il se sépare de l’Eglise par le fait même, s’il se maintient dans cette véritable hérésie, alors il n’est plus dans l’Eglise.
On dira :
– Vous vous séparez de Rome parce que vous vous séparez des cardinaux !
On ne se sépare pas de Rome, au contraire, nous y sommes attachés plus qu’aucun autre, plus qu’aucune Fraternité, plus qu’aucune société, nous sommes attachés à cette Rome qui a toujours justement professé la vérité, professé le magistère de l’Eglise. Cette Rome est nôtre et nous la faisons nôtre et nous sommes persuadés d’ailleurs qu’un jour ce mystère éclatera ; il y a quelque chose qui se passera, que le Bon Dieu ne permettra pas indéfiniment que l’erreur prédomine et que l’erreur passe pour être ce qui est enseigné dans la sainte Eglise, par les catéchismes, dans les universités…
C’est pourquoi nous n’avons pas à nous inquiéter, certainement le Bon Dieu ne peut pas nous abandonner, ce n’est pas possible et de toute manière une solution viendra, ce n’est pas possible autrement !
Mgr Marcel Lefebvre
(Conférence spirituelle, Ecône, 13 mars 1975 – Pour l’honneur de la sainte Eglise, Les 50 ans de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X, Dossier spirituel et doctrinal pèlerinage 2020, texte 134)