La parole de Mgr Lefebvre
Nous sommes les gardiens de l'Eucharistie
Il y a 50 ans, par la Constitution apostolique Missale Romanum (3 avril 1969), le pape Paul VI, promulguait le nouveau rite de la messe. Dès le début, Mgr Marcel Lefebvre s’y oppose, afin de « ne pas perdre la foi et devenir protestant ». En mai 1971, il expose aux premiers séminaristes d’Ecône les raisons de son choix.
Je ne voudrais rien faire qui soit contre l’Eglise, voyez-vous. Je ne voudrais pas même critiquer ce que fait le père Bugnini , ou critiquer le pape, non. Je préfère fermer les yeux là-dessus, mais je ne veux pas fermer les yeux sur quelque chose qui va me faire perdre la foi, ah ça non ! Je préfère mourir que de perdre la foi et devenir protestant, je ferais n’importe quoi ! Je préférerais… s’il le faut, fermer le séminaire. On ferme le séminaire et on s’en va, mais on garde notre foi ! Il n’y a rien à faire, je ne veux pas passer sur la foi, je ne veux pas devenir protestant !
C’est le cœur de l’Eglise qui s’en va
Or, il est certain que peu à peu nous devenons protestants. C’est absolument certain. Vous pouvez demander à tous les prêtres, à ceux qui tant soit peu sont conscients de ce qui se passe dans l’Eglise actuellement et qui même sont forcés par les circonstances et leurs évêques de dire la messe selon le nouveau rite : ils sont douloureusement peinés par ce qu’ils constatent, par ce qu’ils voient, ils ne savent plus quoi faire. Ils ne savent plus vers qui se retourner, ni comment faire, mais ils sentent très bien que tout s’en va. Ils le sentent très bien.
Il est curieux de voir que dès qu’on a adopté toute cette liturgie, il y a quelque chose qui se produit dans les communautés : une division, des luttes intestines, des faits qui détruisent les communautés, qui détruisent les paroisses, qui détruisent les familles. Il y a le virus qui vient à l’intérieur des familles, à l’intérieur de l’Eglise, et qui fait tout éclater. Tout, tout, tout éclate et tout finit par se dissoudre.
Alors nous ne pouvons pas laisser ces choses-là, n’est-ce pas ? C’est vraiment le cœur de l’Eglise qui s’en va. Aussi je le dis bien simplement, s’il y en a qui disent : « Ce n’est pas possible, moi je ne puis pas admettre cela, ce que vous dites me trouble vraiment, et j’estime que dans ce cas il vaut mieux que je ne reste pas dans une maison où l’on semble presque critiquer ce qui vient de Rome, etc. »… Ecoutez, moi je vous le dis sincèrement, je ne veux pas vous faire de peine et à moi ne me faites pas de peine non plus, mais oui séparons-nous en bonne amitié et puis, mon Dieu, allez où vous voudrez, mais moi je ne peux pas, je ne peux pas faire autrement que de vous dire cela ; et s’il y en a qui ne sont pas d’accord, qui croiraient ne pas pouvoir être d’accord, eh bien, que le Bon Dieu les bénisse ! Ils sont peut-être plus forts que moi. Que le Bon Dieu leur donne ses grâces ! Mais qu’on se sépare, c’est mieux, pour ne pas mettre la zizanie dans la maison, pour ne pas mettre la division. Voyez, si la division commence à se mettre dans la maison, c’est une maison finie. Une maison divisée en elle-même, Notre-Seigneur l’a dit, elle est terminée, c’est fini. Dans ce cas ce n’est pas la peine, ce n’est pas la peine.
Alors, quelle résolution ? Je résumerais, si vous voulez, tout cela : gardons l’Eucharistie ! Nous gardons l’Eucharistie, nous sommes les gardiens de l’Eucharistie, les défenseurs de l’Eucharistie. Or pour l’Eucharistie il faut des prêtres, parce que l’Eucharistie vient d’un sacrifice, et sans prêtre il n’y a pas de sacrifice, et l’Eucharistie vient du sacrifice. Ces trois choses sont liées comme les doigts de la main : l’Eucharistie, le Sacrifice, le prêtre.
Si je veux faire de vous de bons prêtres, c’est pour que vous puissiez offrir un sacrifice et le vrai sacrifice, le seul sacrifice, et que de ce sacrifice, de votre action et de l’action sacrificielle de Notre-Seigneur, vienne l’Eucharistie, la vraie Eucharistie où Notre-Seigneur est présent, où Notre-Seigneur est là vraiment, où l’on peut s’agenouiller et l’adorer, et vivre avec lui ! Le séminaire n’a pas d’autre raison d’être, la Fraternité n’a pas d’autre raison d’être : le prêtre, le sacrifice, l’Eucharistie. Voilà tout. Nous devons garder cela.
La messe catholique élève les hommes vers la Croix
Alors, je disais : « La messe catholique avait et a toujours pour effet d’élever les hommes vers la Croix, de les unir à Notre Seigneur Jésus-Christ crucifié, d’atténuer en eux les ferments du péché qui les portent à la division. Si la Croix de Notre-Seigneur disparaît, si son corps et son sang ne sont plus présents, les hommes se retrouveront entre eux autour d’une table déserte et sans vie, et plus rien ne les unira ». – Et c’est cela qui arrive, il n’y a plus de vie et, d’ailleurs, les gens en ont conscience.
« De là, sans doute, cette lassitude et cet ennui qui commence à s’exprimer partout, de là la disparition des vocations qui n’ont plus d’objet… » – Il n’y a pas d’objet de faire une Cène qui est un souvenir de la Croix, qui est une cène protestante ! Et c’est pour cela que vous venez ici, peut-être inconsciemment, que vous êtes poussés à venir ici, parce que vous vous dites : on nous formera, on fera de nous de vrais prêtres. Qu’est-ce que cela veut dire : on fera de nous de vrais prêtres ? Faire des prêtres qui offriront le Sacrifice, le vrai Sacrifice. Vous serez de vrais prêtres et vous offrirez le vrai Sacrifice, et vous ferez une vraie Eucharistie, et vous ferez en sorte que Notre-Seigneur soit présent sur l’autel. C’est tout.
Ne cherchez pas plus loin. C’est pour cela que vous êtes venus, je pense. Même si vous ne l’avez pas pensé explicitement, au moins implicitement c’est cela qui vous a poussés ici ; et c’est pour cela qu’il n’y a plus de vocations sacerdotales. Parce que je ne vois pas un jeune homme qui a vécu auprès de l’autel, qui a servi la messe, qui a vu des prêtres célébrer la sainte Eucharistie, et qui s’est dit un jour : « Ah ! Je veux offrir la messe comme lui, je veux monter à l’autel comme mon curé, comme ce prêtre auquel j’ai servi la messe, c’est tellement beau ! J’ai l’impression… je sens le divin, je vois le divin. Je veux faire comme lui, je veux faire du bien aux autres. Je veux donner le Christ aux autres, je veux porter le Christ aux autres ». Sa vocation est née insensiblement, puis un beau jour il a décidé : je veux être prêtre. Eh bien c’est cela, et c’est là toute votre vie et tout le but d’être ici, et le but de toutes les études que vous faites ici. Ne séparez pas la messe de vos études. (…)
« De là cette sécularisation et cette profanation du prêtre ne trouvant plus sa raison d’être, de là ce besoin du monde pour trouver une échappatoire, car il ne sait plus ce qu’il est ». – Alors il va vers le monde sans savoir exactement ce qu’il va lui porter, ce qu’il va faire, pourquoi il est fait. Le prêtre se profane, le prêtre se sécularise, le prêtre va dans le monde et il finit par se marier puis par trouver : « Après tout je ne vois pas pourquoi je ne ferais pas comme les autres, pourquoi je n’irais pas faire une profession puis simplement un culte le dimanche ! » Et alors, pense-t-il, finis les prêtres, fini le sacrifice de Notre-Seigneur, l’Eglise est morte dans cette région-là, c’est fini, c’est terminé.
« Jésus-Christ peu à peu, par la faute de cette conception protestante de la sainte messe, quitte les églises qui sont souvent malheureusement profanées ». – Il faut bien souvent y penser et se dire : nos églises vont être vides de Notre-Seigneur Jésus-Christ, il n’y sera plus. Notre-Seigneur ne sera plus présent, il va nous abandonner. Notre-Seigneur abandonnera son église de cette façon. Il ne faut pas que Notre-Seigneur abandonne son église ! Nous, nous sommes là pour faire en sorte que nos églises soient habitées par Notre-Seigneur !
Alors je conclus : « La conception de cette réforme, la manière dont elle a été publiée avec des éditions successives indûment modifiées, la façon dont elle a été rendue obligatoire, parfois tyranniquement comme ce fut le cas pour l’Italie… » – Tous les évêques d’Italie avaient demandé que cette application de la liturgie ne se fît que dans deux ans, comme c’était prévu, comme le pape l’avait dit. Or, tout à coup, deux mois après que l’assemblée épiscopale italienne à l’unanimité eût demandé que l’application de cette réforme ne se fît que dans deux ans comme prévu, est paru un article non-signé dans L’Osservatore Romano qui a dit : « En Italie, l’application du Novus Ordo Missæ se fera au mois de novembre prochain ». Cela est paru durant le courant du mois de novembre 1969. Il y a même eu des évêques, je le sais, je les connais, qui ont fait un recours canonique contre cet article en disant : « Mais enfin, c’est illégitime ! L’assemblée était en droit de demander que l’application ne se fît que dans deux ans, le pape l’avait dit, pourquoi alors nous oblige-t-on à la faire dans deux mois au lieu de deux ans ? On n’a pas le temps de préparer nos fidèles. » Ils avaient demandé d’attendre pour préparer les fidèles à cette réforme, pour faire les traductions qui soient de vraies traductions, qu’on puisse les étudier, qu’on puisse faire les essais tout doucement, une application lente, ce qui était absolument le plus normal qu’on pouvait imaginer. Non ! Un article non signé dans L’Osservatore Romano a exigé que les évêques le fassent ; et les évêques l’ont fait. Qu’est-ce qui s’est passé ? Là encore mystère, moi je n’en sais rien.
Donc « … la façon dont elle a été rendue obligatoire, parfois tyranniquement comme ce fut le cas pour l’Italie, la modification de la définition de la messe dans l’article 7, sans aucune conséquence pour le rite lui-même, sont autant de faits sans précédents dans la Tradition de l’Eglise romaine, agissant toujours “cum consilio et sapientia : avec conseil et sagesse” ». – Toujours avec prudence, conseil, sagesse et doucement, lentement les réformes sont faites, et toujours dans un sens d’une plus grande foi, d’une plus grande vérité, d’une plus grande sainteté. Toujours.
Il faut toujours se référer à ce qui est passé
Alors « ces faits nous permettent de mettre en doute la validité de cette législation et ainsi de nous conformer au canon 23 [du Code de l’Eglise] : “Dans le doute d’une nouvelle législation, on n’admet pas la révocation d’une loi, mais la loi récente doit être ramenée à la précédente et on doit autant que faire se peut les concilier”. »
Eh bien, je me fie à cet article du droit canon, car je crois que la moindre chose qu’on puisse dire c’est qu’il y a un doute sur la validité de cette législation. Au moins un doute, un doute très légitime. Et dans ce cas, on doit revenir à la législation précédente ! C’est toujours la règle dans l’Eglise, parce que les nouveautés ne doivent être que conformes à ce qui est ancien ! C’est toujours ainsi : la tradition est la règle, parce que c’est Notre-Seigneur qui nous a donné la Révélation et donc il faut se référer à Notre-Seigneur, il faut se référer à la Révélation, il faut se référer aux Pères de l’Eglise, il faut se référer à la Tradition de l’Eglise, il faut se référer au Magistère de l’Eglise. C’est comme cela qu’on connaît la vérité des choses. Ce n’est pas en regardant en face de soi en disant : « Qu’est-ce que va être le futur ? Il faudra voir ! » Non, il faut toujours se référer à ce qui est passé, et il est certain qu’il y a plus de vérité, je dirais plus de force de vérité, chez ceux qui ont vécu à côté de Notre-Seigneur, qui sont plus près de Notre-Seigneur qu’en ceux qui, comme nous, en sont éloignés. Car des siècles ont passé pendant lesquels, malheureusement, il y a eu des troubles dans la foi, etc. Il faut donc se référer à la Tradition.
C’est pourquoi ce canon dit : quand il y a un doute dans une loi nouvelle, il faut se référer à la loi ancienne et conformer autant que possible la loi nouvelle avec la loi ancienne. C’est ce que je suis personnellement décidé à faire quoi qu’il arrive, c’est-à-dire garder l’ancienne messe, quitte à accepter, mon Dieu, quelques petits aménagements qui ne sont pas essentiels à la messe, qui ne sont pas essentiels à ces trois vérités fondamentales qui doivent rester dans la messe.
Et par conséquent pour moi personnellement, je vous dis ce que je pense : je crois que de l’offertoire à la communion, il est impossible que nous changions ! Au moins dans les circonstances actuelles, nous ne pouvons pas changer sans risquer de voir tout doucement la présence de Notre-Seigneur disparaître de l’autel. Nous ne pouvons pas changer, ce n’est pas possible parce que c’est là le cœur de la messe et l’expression même de notre foi. Si nous venions à changer, il arriverait chez nous ce qui arrive partout ailleurs, ce que l’on voit malheureusement et ce que l’on constate partout. Alors je pense que de cette manière-là, nous sommes sûrs de garder l’Eucharistie.
« Ce qui demeure un devoir et un droit absolu : c’est la sauvegarde de notre foi. Et la sainte messe en est l’expression la plus vivante, la source divine, d’où son importance primordiale ». – Personne n’a le droit de nous faire perdre la foi ! Personne, personne !
Il n’est pas possible qu’on se trompe en gardant un rite séculaire
Voilà ce que je voulais vous dire parce que nous arrivons à des circonstances vraiment dramatiques. Et je pense que peut-être le Bon Dieu permet que nous soyons réunis ici, et que dans quelques mois nous soyons cinquante, et peut-être dans deux ou trois ans nous soyons quatre-vingts, cent, pour continuer l’Eucharistie, pour qu’il y ait encore des Eucharisties où Notre-Seigneur est présent !
Il n’est pas possible qu’on se trompe en gardant un rite qui a été celui de siècles et de siècles – non seulement de siècles, mais qui vient des apôtres. On dit toujours : « le rite de saint Pie V ». Or saint Pie V n’a fait que codifier ce qui venait d’autrefois. Vous lirez dans saint Thomas tout ce qui est dit au sujet de la messe. Saint Thomas vivait bien avant le concile de Trente, bien avant saint Pie V ; eh bien, saint Thomas explique tous ces rites de la messe, tous ces rites… Combien de fois il dit : « Nous pensons… » ; par exemple, au sujet du mysterium fidei à l’intérieur de la consécration du précieux sang, saint Thomas dit explicitement : « Nous pensons que ces paroles nous viennent des Apôtres ». Alors ce n’est pas une petite chose si les Apôtres ont cru devoir mettre ce mysterium fidei dans la consécration ! Ils étaient bien plus au fait que nous ! Et qui sait si ce n’est pas Notre-Seigneur lui-même qui le leur a dit pendant les quarante jours pendant lesquels il s’est trouvé avec eux après sa Résurrection, leur donnant certainement des indications pour le futur, pour le futur prochain. Ils allaient avoir à organiser la sainte messe, le culte et tant de choses. Notre-Seigneur leur a certainement donné des indications. Alors qui sait si ce n’est pas Notre-Seigneur lui-même qui l’a dit ? Or si tout cela nous vient des Apôtres, nous devons le garder précieusement avec grande piété, et pour garder notre foi, car c’est tout un. Si on nous arrache tout cela tout doucement, nous finirons par ne plus savoir où nous en sommes, ne plus savoir si les formules que nous prononçons sont valides, et nous serons perdus, complètement perdus.
C’est pourquoi je crois sincèrement que je ne désobéis pas au Saint-Père en continuant le rite de saint Pie V, parce que je crois que le Saint-Père veut que nous gardions la foi. J’en suis persuadé, je suis sûr que le Saint-Père veut que nous continuions l’Eucharistie. Je suis sûr que le Saint-Père veut que nous continuions le sacrifice de la messe.
Mgr Marcel Lefebvre
(Conférence spirituelle à Ecône, 30 mai 1971 – le style oral a été conservé. Avec l’autorisation expresse de la Maison Générale que nous remercions.)