La Messe et le Rosaire

Dans sa prière officielle, publique ou liturgique, l’Eglise prie par Notre-Seigneur Jésus-Christ ! Elle prie Notre Père... et elle le prie “par” Jésus-Christ... elle prie Dieu, en s’immisçant au sein de la prière de Jésus-Christ à son Père, car sa prière et celle de Jésus sont la même et unique prière : celle du Corps Mystique dont il est la tête et elle le corps...
C’est pourquoi elle s’adresse beaucoup plus à Dieu le Père comme le fit Jésus-Christ qu’à Jésus lui-même.
Il est bien vrai qu’en fait, nous n’avons plus rien à demander à Notre-Seigneur : il nous a déjà obtenu tout ce dont nous avons besoin, et même, au-delà... son sacrifice a décidé son Père et notre Père à nous donner tout ce qui nous manquait pour être sauvés.
Maintenant c’est à « Notre Père » qu’il faut nous adresser, mais en passant par la médiation de Jésus-Christ, en nous appuyant sur la prière de Jésus-Christ et sur son sacrifice, pour obtenir ce qu’il nous a mérité et obtenu.
Aussi l’Eglise prie-t-elle toujours « per Jesum Christum Dominum nostrum » ou « cum », avec Jésus-Christ.
S’il lui arrive de prier Jésus-Christ, c’est généralement, non pour lui demander quelque chose, mais pour le remercier et l’adorer.
Il serait presque inconvenant de lui demander encore quelque chose !
Comme s’il n’en avait pas assez fait, pour elle et pour nous tous ! Il est notre Rédempteur... il nous a tous sauvés, et nous n’avons plus qu’à pénétrer au cœur du mystère Rédempteur avec lui pour en ressortir vivants dans l’éternité.
Cela est difficile !... Devenir Jésus est le seul moyen d’être agréés et aimés de Dieu comme ses vrais enfants. Et c’est à la Croix que nous devenons Jésus ; c’est en le rejoignant dans son plus grand amour que nous lui ressemblons le plus...
C’est pourquoi il nous a laissés la Messe, son sacrifice, sa croix, sa présence crucifiée, adorante et adorable dans l’hostie... il nous a confié son Cœur dans l’acte où son amour le déchire pour dire à son Père tout l’amour des hommes et donner aux hommes tout l’amour de son Père.
C’est pour nous apprendre à aimer comme lui qu’il nous a laissés la Messe... la Messe où, en fait, nous n’avons rien vraiment à lui demander, et où il ne nous distribue rien !
A la Messe il ne distribue rien, car il ne fait pas de détail, il s’offre et se donne tout entier. Il s’offre à son Père et nous, nous avons à nous offrir avec lui pour accéder au Père. Il se consacre lui-même pour tous ceux qu’il aime, que son Père lui a confiés, puis il se donne tout entier à ceux qui désirent apprendre à aimer avec lui, comme lui...
Nous n’avons rien à lui demander alors qu’à le recevoir et à lui permettre de vivre en nous pour nous faire vivre comme lui, de continuer à demander et à obtenir de son Père tout ce dont nous avons besoin, et de faire de notre vie toute entière une reproduction de la sienne, pour que Dieu ne puisse plus faire de différence entre l’amour de Jésus pour lui et le nôtre, entre sa prière et la nôtre... C’est là le rôle de l’hostie que nous recevons, cette hostie qui est Jésus, qui aime et qui prie, et qui vient nous enseigner à le faire comme lui.

Oui, nous avons la Messe et l’Hostie, cette Messe si belle dans son rite si beau que le grand pape saint Pie V a restauré pour tous les baptisés jusqu’à la fin des temps, sans que nul ne puisse jamais le retirer à l’Eglise... Ce rite qui nous aide si bien à faire de notre vie une immense prière à notre Père avec Jésus et par Jésus. C’est notre Père qu’ainsi nous prions, comme Jésus lui-même nous l’a enseigné. Mais l'Eglise aime à prier aussi sa Mère, la mère de Jésus, notre Mère Marie...
Elle, nous devons même la prier, car en fait c’est Elle qui, dans le plan rédempteur, parce qu’elle est co-Rédemptrice, a pour fonction de nous distribuer toutes ces grâces méritées et obtenues par Jésus-Christ.
C’est là ce droit qu’elle a conquis au pied de la Croix en offrant son Fils et en s’offrant avec lui : devenir la mère de l’Eglise, la mère de tous les rachetés. Après avoir été la mère de Dieu, devenir la mère de tous les enfants de Dieu, en étant la médiatrice de toutes les grâces.
Et, depuis, Notre-Dame se tient au pied de l’hostie. Elle est éternellement debout au pied du calice, médiatrice. Elle attend nos offrandes pour les confier à celle de son Fils. Elle attend nos prières, nos désirs, nos promesses pour nous distribuer la présence, la bonté et la force de son Fils.
Sans elle nul ne peut aller à Jésus, accéder à son cœur pour lui devenir semblable. Aussi l’Eglise place-t-elle la dévotion à la Très Sainte Vierge aussitôt après celle à Notre-Seigneur. Après la Messe et l’Hostie, nous n’avons rien de plus précieux, de plus grand, de plus beau et de plus pur que la Très Sainte Vierge Marie, notre Mère.
« Plus on est à Marie et à son action, plus on est en voie d’union à Dieu, de revivre Jésus. Il faut nous établir spirituellement en Marie comme un enfant dans le sein de sa mère ». (R.P. Vayssière)
C’est là tout le sens de la dévotion à la Très Sainte Vierge de Saint Louis-Marie Grignon de Montfort : non une fin en soi, mais un moyen nécessaire pour parvenir à la Sagesse éternelle, le fils de Dieu – un moyen de devenir fils de Dieu – non le seul, car il ajoutait aussi le désir ardent, la prière continuelle et la mortification universelle !
Mais la vraie dévotion à la Très Sainte Vierge est faite d’autres choses que de longues litanies, de multiples pèlerinages, ou d’une multiplication de médailles, images, cierges ou chapelets de tous modèles et de toutes couleurs, tous gratifiés d’une promesse spéciale et spécialisés dans l’obtention automatique de tel ou tel bienfait... Non, la vraie dévotion est celle de l’âme et du cœur qui nous fait revenir comme un enfant dans le sein de Marie, pour y retrouver Jésus et tout faire avec lui et comme lui, en Marie et par Marie...
C’est là peut-être la grâce du rosaire, qu’il faut prier pour obtenir de Dieu toutes les grâces de salut et toutes les victoires, mais qu’il faut vivre aussi pour devenir Jésus, par la médiation de la maternité de la Vierge.
« Le Rosaire, disait encore le Père Vayssière, c’est un enchaînement d’amour de Marie à la Trinité... c’est la communion de tout le jour, qui traduit en lumière et en résolution féconde la communion du matin. »
Il nous maintient en Marie aux côtés de Jésus. Il maintient en nous la vie et l’amour de Jésus et fait « lever » les fruits de l’hostie déposée en notre âme. La grâce du Rosaire est de faire de nous des dévots, des enfants très dévots de Marie pour qu’elle puisse faire de nous des enfants de Dieu...
« La Sainte Vierge n’est que Mère. Elle n’est que Mère de Jésus, et c’est lui qu’elle enfante dans l’âme. Toute l’action de Marie s’écoule vers Jésus. On ne saurait concevoir en elle une parcelle quelconque de son activité qui n’aurait pas Jésus comme objet et comme fin : c’est sa mission. Après la Messe et l’Hostie, nous n’avons rien de plus précieux, de plus grand, de plus beau et de plus pur que la Très Sainte Vierge Marie, notre Mère.
Elle est Mère, et son rôle de Mère est de nous donner la vie divine en échange de tout ce qu’elle nous aide à sacrifier. C’est l’Esprit-Saint lui-même qui a créé et préparé le cœur de Marie et a creusé en lui des profondeurs ineffables. Il en a fait un cœur de mère, et pas d’une mère quelconque, mais de la Mère de Dieu. Et c’est avec ce cœur fait pour Dieu, avec ces tendresses réservées à Dieu que Marie aime chacune de nos âmes. »
Par le Rosaire, devenir l’enfant de la Mère de Jésus est le plus sûr moyen de devenir aussi l’enfant de son Père, mais que notre rosaire soit une prière du cœur et de l’âme, non une seule prière des lèvres et des doigts pendant que les yeux épient tout ce qui se passe autour de nous et que l’esprit rumine toutes ses préoccupations humaines. Le Rosaire peut être dit en silence, sans bruit, c’est même là souvent qu’il est le plus vrai.
Que notre rosaire soit une adoration du mystère de Jésus et de Marie, adoration silencieuse et aimante, et il deviendra alors toute notre victoire : celle de Jésus en nous-mêmes et sur nous-mêmes celle de Marie pour Jésus et pour nous-mêmes, celle de Dieu pour l’Église et pour les âmes.


La Messe et le Rosaire
Article de l'abbé Michel Simoulin dans Controverses, n° 46 de mai 1992