La position du Saint-Siège sur la Terre Sainte en débat

Source: District de Suisse

Cardinal Fernando Filoni

Le Saint-Siège serait-il à la veille d’amorcer un virage géopolitique sur l’avenir de la Terre Sainte ? Les propos que vient de tenir à cet égard un haut prélat romain rompu aux arcanes diplomatiques du Vatican devant un parterre de journalistes réunis à la mi-mars 2024, sont loin d’être passés inaperçus.

Le haut prélat, ancien substitut de la secrétairerie d’Etat – un poste-clé oltretevere – et actuel grand maître de l’Ordre équestre du Saint-Sépulcre et de Jérusalem, s’est en effet exprimé dans le contexte de la guerre meurtrière qui oppose l’armée israélienne aux militants islamistes du Hamas, depuis les sanglants attentats du 7 octobre 2023.

Un conflit qui paraît dans l’impasse malgré tous les efforts de médiation du Saint-Siège, et qui nécessite « un changement de mentalité », selon le cardinal Fernando Filoni : « Je ne sais pas s’il vaut mieux deux Etats qu’un seul bien unifié », s’est interrogé le diplomate dont les propos ont rapidement fait le tour de la toile.

Et pour cause : dans le cadre de sa géopolitique de la Terre Sainte, le Saint-Siège, depuis plusieurs décennies, défend – de concert avec la plupart des chancelleries occidentales – le principe d’une solution à deux Etats, israélien et palestinien, dans la région.

En septembre 2023, avant l’attaque du Hamas contre Israël, Mgr Paul Richard Gallagher, cheville ouvrière de la diplomatie vaticane, plaidait à l’ONU pour un plan de paix qui ne se ferait pas « au détriment des populations locales ou des demandes légitimes des Israéliens et des Palestiniens ».

Au sujet des Palestiniens, le prélat de nationalité britannique demandait de « reconnaître honnêtement » le fait qu’ils se trouvent dans une « position très faible », à la fois en raison de problèmes de gouvernance interne, mais aussi « de l’attitude de plus en plus autoritaire et militairement invasive de l’Etat d’Israël ».

Réagissant à l’attaque « inhumaine » du Hamas contre Israël, le cardinal secrétaire d’Etat Pietro Parolin réitérait aussi la vision d’une solution à deux Etats « qui permettrait aux Palestiniens et aux Israéliens de vivre côte à côte, dans la paix et la sécurité ».

Le ton n’est visiblement plus le même quelques mois plus tard. Lorsque les journalistes insistent et lui demandent si une solution à deux Etats est toujours viable à son avis, le cardinal Filoni répond : « Je ne peux pas le dire », précisant qu’il était difficile de prédire les résultats d’une telle solution car « on a affaire à deux réalités qui vivent sur un seul et même territoire ».

Des commentaires qui constituent l’indice d’une position en cours de réévaluation face à l’incapacité de la communauté internationale à imposer un règlement au conflit. En tout cas un débat existe à haut niveau dans l’Eglise : intervenant le 25 mars dernier dans la revue America, Mgr Gallagher, rappelait sa préférence pour une solution à deux Etats « en dehors de la question de Jérusalem ».

Quant au cardinal Pierbattista Pizzaballa, il affirmait le 26 octobre dernier : « Dans un avenir proche, il me semble que la coexistence entre Israéliens et Palestiniens sera impossible dans la pratique ; nous devrons voir où cela mènera concrètement, et ce que cela va impliquer dans la vie des chrétiens ici. Mais une chose est sûre : plus rien ne sera comme avant », selon le patriarche latin de Jérusalem.

Le ton est le même chez le cardinal Filoni : « La première et la plus importante chose pour laquelle travailler est la coexistence, dans le respect et la reconnaissance du droit de tous à vivre dans la justice, parce que si cela fait défaut, qu’on ait deux ou trois Etats ne résoudrait rien », a-t-il insisté. Il a aussi détaillé l’aide financière fournie au patriarcat latin de Jérusalem par l’Ordre du Saint-Sépulcre.

« Quatre-vingt-dix pour cent des revenus de l’Ordre vont à l’aide des œuvres catholiques en Terre Sainte », précise le cardinal. Des revenus qui proviennent – outre les dons des membres – du fameux Palazzo della Rovere, un lieu emblématique dans la Ville éternelle, sur le point d’être reconverti en un hôtel de luxe afin de générer de confortables bénéfices.