Dom Marmion – Deuxième semaine de Carême

2ème Dimanche de Carême 

Prière au Christ transfiguré et au Père

Christ Jésus, Verbe éternel, Maître divin, vous qui êtes la splendeur du Père et l'éclat de sa substance, vous l'avez dit vous-même : « Si quelqu'un m'aime, je me manifesterai à lui », faites que nous vous aimions avec ferveur, afin que nous puissions recevoir de vous une lumière plus intense sur votre divinité ; car c'est là le secret de notre vie, de la vie éternelle : « Connaître que notre Père céleste est le seul vrai Dieu, et que vous êtes son Christ » , envoyé ici-bas pour être notre roi et le pontife de notre salut. Illuminez les regards de notre âme d'un rayon de ces splendeurs divines qui brillèrent au Thabor, afin que notre foi en votre divinité, notre espérance en vos mérites et notre amour en votre adorable personne en soient affermis et accrus.

« Ô Père, je le crois, je veux le répéter après vous : ce Jésus qui est en moi par la foi, par la communion, est votre Fils ; et parce que vous l'avez dit, je le crois ; et parce que je le crois, j'adore votre Fils, pour lui rendre mes hommages ; et par lui, en lui, pour vous rendre aussi, à vous, ô Père céleste, en union avec votre Esprit, tout honneur et toute gloire. »

Une telle prière est extrêmement agréable à notre Père des cieux ; et quand elle est vraie, pure, fréquente, elle nous rend l'objet de l'amour du Père ; Dieu nous enveloppe dans les complaisances qu'il prend en son propre Fils Jésus. C'est Notre-Seigneur lui-même qui nous le dit : « Le Père vous aime parce que vous avez cru que je suis sorti de lui », que je suis son Fils.

Quel bonheur pour une âme d'être ainsi l'objet de l'amour de ce Père « d'où descend tout don parfait » qui réjouit les cœurs.

C'est aussi être très agréable à Jésus. Il tient à ce que nous proclamions sa divinité, à ce que nous ayons en elle une foi vive, profonde, à l'abri de toute atteinte : « Bienheureux celui qui ne sera pas scandalisé en moi ! »

Le Christ dans ses mystères, pp. 257, 266-267.

Lundi de la 2ème semaine de Carême

Filiation divine du Christ Jésus

Jésus nous dit, — et c'est le Verbe incarné qui parle — que sa doctrine n'est pas la sienne, mais celle qu'il a reçue de son Père qui l'a envoyé : Mea doctrina non est mea, sed eius qui misit me.

Il dit encore que « le Fils ne fait rien de lui-même, il ne parle que comme le Père le lui enseigne » : A meipso facio nihil, sed sicut docuit me Pater haec loquor.

Il ajoutera donc en toute vérité qu'il ne cherche pas sa propre volonté « ni sa propre gloire, mais celle de celui qui l'a envoyé ». Non quæro gloriam meam sed ejus qui misit me Patris.

Cette gloire, c'est de tout rapporter à son Père, dont il est engendré : le Père lui donne tout, et le Fils rapporte tout à son Père, comme au principe d'où il procède : Pater, omnia mea tua sunt, et tua mea.

Vrai de l'humanité de Jésus, cela l'est aussi, dans un sens très élevé, de sa divinité.

Dans la Trinité, Dieu le Père a un attribut propre qui est distinctif de sa personne : il est le premier principe qui ne procède d'aucun principe : Principium sine principio. De lui procède le Fils ; et, du Père et du Fils, procède l'Esprit-Saint. Jésus, même comme Dieu, tient tout du Père. Le Fils, en regardant son Père, peut lui dire que tout ce qu'il est, tout ce qu'il a, tout ce qu'il sait, il le tient de son Père, parce qu'il procède de lui, sans que d'ailleurs, il n'y ait en ceci, entre la première et la deuxième personne, inégalité ou infériorité ou succession de temps. C'est pourquoi, quand le Père regarde son Fils, il voit qu'il n'y a rien en ce Fils qui ne vienne de lui ; et c'est pourquoi tout est divin dans le Fils, tout est parfait ; aussi le Fils est-il l'objet des complaisances de son Père : Filius dilectionis suae.

« Je crois, Seigneur Jésus, mais augmentez ma foi ! »

Le Christ, idéal du moine, pp. 270-271.

Mardi de la 2ème semaine de Carême

Formalisme étroit des Pharisiens

Les pharisiens étaient tombés dans un formalisme d'une grande étroitesse ; sans se soucier de la pureté intérieure de l'âme, ils s'attachaient à l'observance extérieure, matérielle et mesquine, de la lettre de la Loi. C'était là toute leur religion et leur perfection.

Il en était résulté une profonde oblitération morale : ces « purs » négligeaient de graves préceptes de la loi naturelle, pour ne s'arrêter qu'à des détails absurdes, fondés sur leurs interprétations personnelles.

Ce formalisme outré les conduisait nécessairement à l'orgueil. Auteurs eux-mêmes de bien des prescriptions, ils se croyaient les propres artisans de leur sainteté. Ils étaient les « Séparés », les purs, que rien de souillé n'atteignait.

Dès lors, qu'avait-on à leur reprocher ? N'étaient-ils pas d'une correction parfaite sur toute la ligne ? Aussi avaient-ils d'eux-mêmes une estime extrêmement déréglée ; un incommensurable orgueil les poussait à « rechercher avidement le premier rang dans les synagogues, les premières places dans les festins auxquels ils étaient invités, les salutations et les applaudissements de la foule sur les places publiques ».

La condescendance extraordinaire du Sauveur envers les publicains et les pécheurs, rejetés par eux comme impurs, son indépendance à l'égard de la Loi du sabbat, dont il se disait le maître souverain, les miracles par lesquels il s'attachait le peuple ne pouvaient manquer de les émouvoir.

Partout, à chaque page de l'Évangile, vous les verrez, pleins de haine contre Jésus, tâcher de ruiner son autorité auprès de la foule, de détourner de lui ses disciples, de tromper le peuple afin d'empêcher le Christ de remplir sa mission de salut.

Le Christ dans ses mystères, p. 248 et suiv.

Mercredi de la 2ème semaine de Carême

La fidélité et sa récompense. Prière.

Si nous sommes fidèles, malgré les tentations et les difficultés, à travailler à l'œuvre de notre perfection, « le jour de la récompense promise par Dieu sonnera pour nous ».

Si nous avons eu cette application constante que sait apporter l'amour à remplir parfaitement les désirs de notre Père des cieux, si nous avons « toujours fait ce qui lui plaît », nous recevrons assurément la récompense magnifique promise en ces termes par Celui qui est la Fidélité même : « Venez, bon serviteur, vous avez été fidèle sur un petit nombre de choses : entrez dans ma joie, je vous ferai part de grands biens. »

Quels sont ces biens que Notre-Seigneur lui donne en partage ? Dieu même, dans sa Trinité et ses perfections ; et, avec Dieu, tous les biens spirituels. A ce Dieu l'âme sera « semblable, parce qu'elle le verra tel qu'il est ».

Par cette vision ineffable qui succède à la foi, elle sera fixée en Dieu et trouvera en lui la stabilité divine ; elle adhérera pour toujours, dans une étreinte parfaite, et sans crainte de le perdre jamais, au bien suprême et immuable.

En attendant que brillent à nos regards purifiés les splendeurs éternelles, répétons souvent cette prière de l'Église : « Ô Dieu, qui dans votre amour restaurez la beauté de l'innocence, attirez vers vous les cœurs de vos serviteurs; que l'ardeur de l'amour qu'a fait naître en eux votre Esprit les rende stables dans la foi et fidèles à pratiquer votre Loi – Deus innocentiae restitutor et amator, dirige ad te tuorum corda servorum : ut spiritus tui fervore concepto, et in fide inveniantur stabiles et in opere efficaces. »

Le Christ, idéal du moine, pp. 195, 196.

Jeudi de la 2ème semaine de Carême

Prière confiante dans les mérites et la puissance miséricordieuse du Christ Jésus

Les orgueilleux qui prétendent tirer d'eux-mêmes leur puissance, commettent le péché de Lucifer : « Je m'élèverai et je serai semblable au Très-Haut » ; comme Lucifer, ils seront terrassés et précipités dans l'abîme.

Nous, que dirons-nous ? — Que sans le Christ, nous ne pouvons rien faire, ainsi qu'il l'a prononcé lui-même. Nous proclamerons que c'est par Jésus, avec Jésus, que nous pouvons arriver à la sainteté et pénétrer les cieux ; nous dirons au Christ : « Maître, je suis pauvre, misérable, nu, faible ; j'en suis tous les jours de plus en plus convaincu. Mais je sais aussi que vous êtes ineffablement puissant, grand et bon ; je sais que le Père vous aime tant qu'il a placé en vous tous les trésors de sainteté que les hommes peuvent désirer ; je sais que vous ne repoussez pas ceux qui viennent à vous. C'est pourquoi, tout en vous adorant du plus profond de mon âme, j'ai pleine confiance en vos mérites et en vos satisfactions ; je sais que tout misérable que je suis, vous pouvez par votre grâce me combler de vos richesses, m'élever jusqu'à la divinité, pour me rendre semblable à vous et me faire partager votre béatitude. »

De tels sentiments vivifient l'âme au milieu de son abaissement, et la pousse à se livrer, avec amour, ferveur et joie, à tout ce que le Christ demande d'elle, si pénible que ce soit.

De plus, quand ils viennent du fond du cœur, ils glorifient extrêmement Dieu, parce qu'ils reconnaissent et proclament la plénitude de puissance que le Père a voulu mettre entre les mains de son Fils bien-aimé, Jésus-Christ : Omnia dedit in manu eius.

Le Christ, idéal du moine, pp. 330-331.

Vendredi de la 2ème semaine de Carême

Réprobation des Juifs, orgueilleux et sensuels

Il convenait que le Verbe incarné se manifestât d'abord au peuple d'Israël. Le peuple juif était le peuple choisi. C'est de ce peuple que devait sortir le Messie, fils de David. C'est à lui qu'avaient été faites les magnifiques promesses dont la réalisation constituait le règne messianique. C'est à lui que Dieu avait confié les Écritures et donné la Loi dont tous les éléments étaient la figure de la grâce que devait apporter le Christ. Les bergers, gens simples au cœur droit, ont représenté à la crèche le peuple élu ; plus tard, dans sa vie publique, Notre-Seigneur se manifestera aux Juifs par la sagesse de sa doctrine et l'éclat de ses miracles.

Les païens étaient-ils, dès lors, exclus de la grâce de la rédemption et du salut apporté par le Christ ?

Non. Mais il entrait dans l'économie divine de réserver aux apôtres l'évangélisation des nations païennes, après que les Juifs, en crucifiant le Messie, auraient définitivement rejeté le Fils de Dieu. Quand Notre-Seigneur meurt sur la croix, le voile du temple se déchire en deux pour montrer qu'a cessé l'Alliance antique avec le seul peuple hébreu.

Bien des Juifs, en effet, n'ont pas voulu recevoir le Christ ; l'orgueil des uns, la sensualité des autres ont aveuglé leurs âmes, et ils n'ont pas voulu l'accepter comme Fils de Dieu. C'est d'eux que saint Jean parle quand il dit : « La lumière luit dans les ténèbres et les ténèbres ne l'ont point comprise ; elle est descendue dans son domaine, et les siens ne l'ont pas reçue. » C'est pourquoi Notre-Seigneur disait à ces Juifs incrédules : « Le règne de Dieu vous sera enlevé et transféré aux gentils. »

Les nations païennes sont appelées à devenir l'héritage promis par le Père à son Fils Jésus : Postula a me, et dabo tibi gentes hereditatem tuam.

Le Christ dans ses mystères, pp. 150, 151.

Samedi de la 2ème semaine de Carême

Miséricorde du Père céleste figuré par le père du prodigue

Dans une de ses plus belles paraboles, celle de l'enfant prodigue, Jésus nous découvre le portrait authentique de son Père céleste.

Il montre l'extraordinaire bonté du père qui oublie toute l'ingratitude, toute la bassesse du coupable pour ne penser qu'à une chose : « Son fils était mort et il est revenu à la vie ; il était perdu et il est retrouvé ; c'est pourquoi il faut se réjouir et apprêter tout de suite un festin. »

Le Christ Jésus eût pu arrêter ici l'exposé de la parabole, s'il eût seulement voulu faire éclater à nos yeux la miséricorde du père de famille à l'égard du prodigue.

Si étendue est-elle, en effet, que nous n'en pouvons ; concevoir de plus grande ; nous en sommes si touchés si émerveillés qu'elle retient toute notre attention, et que souvent nous perdons de vue la leçon que Jésus : voulait donner à ceux qui blasphémaient sa conduite envers les pécheurs.

Car il poursuit la parabole en nous représentant l'attitude odieuse du fils aîné qui refuse de participer à la joie commune en s'asseyant au festin préparé pour son frère.

Jésus voulait faire entendre aux pharisiens non seulement combien dure était leur conduite orgueilleuse, et combien méprisable leur scandale, mais encore leur apprendre que lui, notre Frère aîné, loin d'éviter le contact de ses frères repentants, les recherche et prend' part à leurs festins. Car « le ciel éprouvera plus de joie de la pénitence d'un pécheur, que de la persévérance de quatre-vingt-dix-neuf justes qui n'ont pas besoin de repentir ».

Le Christ dans ses mystères, pp. 234-235.